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RICHARD WAGNER


de l’empereur et de l’impératrice, vengea de manière grandiose le compositeur sifflé du Vaisseau Fantôme. Puis Wagner fit visite à Bismarck. Mais les deux grands hommes de l’Allemagne contemporaine ne trouvèrent pas, au cours de cet entretien, un bien vif courant de sympathie mutuelle. « Ils se sont contemplés réciproquement », note Cosima dans son journal, et Wagner ne crut pas devoir solliciter du Chancelier un concours financier en faveur de Bayreuth. Sans doute avaient-ils vécu l’un et l’autre dans des sphères trop différentes, et le Prussien gigantesque, qui venait de fonder les nouvelles réalités européennes, examinait peut-être avec un peu de méfiance le petit révolutionnaire de jadis, dont la gloire lui semblait sentir encore vaguement l’idéologie roussie de Quarante-Huit.

Wagner restait sans doute trop indépendant pour être goûté des princes. Le roi Louis II lui fit savoir dans le même temps qu’il désapprouvait absolument l’idée de Bayreuth. Mais le compositeur demeura inébranlable et l’entreprise fut amorcée dans quantité de villes allemandes par les soins des Sociétés Wagner.

Il s’agissait de réunir près d’un million de marks, sous forme de parts de fondateur, à 900 marks chacune. Et Louis, repentant, s’inscrivit tout de même pour 75.000 marks. D’autres groupes suivirent bientôt le mouvement. Les édiles de Bayreuth, enflammés par un projet qui devait tirer leur ville de sa longue léthargie, offrirent gratuitement le terrain pour le Théâtre des Fêtes. Et l’abbé Liszt, infiniment plus pauvre aujourd’hui que son illustre gendre, préleva sur sa petite bourse franciscaine les 2.700 marks nécessaires pour souscrire trois parts de fondateur. De tous côtés affluaient des nouvelles heureuses lorsqu’on apprit brusquement la mort de Tausig, le pianiste extraordinaire, président de la section berlinoise des Amis de Wagner. Il avait à peine trente ans. Ce fut pour le compositeur un chagrin très vif. Il semblait décidément qu’à chaque pas en avant sur sa route, «la Fatalité s’en prît à ses fidèle », comme il le disait à Schuré lort du décès de Schnorr.

Pourtant Wagner s’obstinait et il gardait malgré tout une tenace espérance. Les « Vereine » se multipliaient. On jouait Lohengrin avec un succès inattendu au Teatro Communale de Bologne. Et surtout il apercevait le bout de sa tâche. Dans la