Il y a une véritable tragédie qui se passe entre nous. Je n’ai
rien, absolument rien à vous offrir qui puisse ressembler à
une consolation, puisque je comprends que, même s’il m’était
possible de vous persuader de la justesse parfaite de mon
point de vue au sujet de tout ce qui se passe maintenant,
vous devriez toujours rester dans votre disposition d’âme,
élégiaques, tristes et résolus d’y rester. Quand j’ai passé de
pareilles angoisses, il y avait enfin une seule chose qui m’a
sauvé. Ce n’était pas l’enivrement par l’art, c’était la cure
hydropathique (sic) par la philosophie. Tout ce qui me désole
au moment où je tâche de me mettre en rapport avec l’esprit
français, c’est d’y rencontrer trop de sentimentalités (je ne
parle pas de phrase rhétorique, ne voulant rien dire là où je
m’attends à une réflexion froide et (à) une pensée stricte.
Il y a là une sorte de fausse poésie qui, assez longtemps, a été
soutenue comme une vraie poésie par une chance propice qui
flattait l’esprit d’une nation sanguine (!). Cet esprit ne connaît
que le présent, l’actualité, et c’est par cela qu’il est d’une
étroitesse si pénible pour ceux qui veulent s’expliquer avec
lui. Au contraire, la nourrice de l’Allemand était l’Histoire :
d’y remonter c’était notre instruction, qui nous consolait et
nous fortifiait… Cherchez à trouver un vrai homme d’État.
C’est cela seul qui vous manque et qui puisse tirer la France
de sa situation. Un homme d’État d’un vrai courage, non
flatteur de l’esprit public mal guidé depuis qu’il est gouverné
par des journalistes ignorants et des comédiens frivoles de
la Tribune… Acceptez le sort tel qu’il est jeté, comme un
jugement de Dieu, et étudiez le sens profond de ce jugement…
Soyez bénis par vos amis ! Nous sommes avec vous ! Au revoir !
Tout à vous. »[1]
L’étrangeté d’un tel document n’a pourtant rien qui surprenne. Il est très authentiquement wagnérien : sincère avec brutalité, un peu lourd, appuyé sur une philosophie de l’histoire où Wagner a toujours puisé sa force, ses résignations, et une volonté de puissance dont Nietzsche démêla les racines embrouillées. Mais si une telle lettre manque de tact et de délicatesse, elle témoigne pourtant d’une amitié vivace. Et
- ↑ Voir Louis Barthou : articles cités.