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RICHARD WAGNER


incompréhension, dont il a toujours souffert à cause des interprétations faussées de son œuvre, risque de prendre cette fois, avec La Walkyrie, une tournure désastreuse. Aussi l’idée d’élever enfin son théâtre s’impose-t-elle à son esprit avec plus de force que jamais. Et Cosima la partage, veut maintenant passer aux ucl.s.

Le 5 mars de l’année nouvelle, 1870 (elle note cette date), un nom lui vient aux lèvres, nom d’une petite ville qui figure dans l’Autobiographie, où Wagner, à vingt-deux ans, vit descendre le soleil sur de vieux palais endormis : Bayreuth. Elle ouvre son dictionnaire à cet article et lit : « Petite ville de la Haute-Franconie ; ancienne capital des margraves de Bayreuth-Ansbach… Château historique… Ermitage… Magnifique théâtre de l’époque rococo. » Pourquoi ne serait-ce pas à Bayreuth que s’édifierait le Théâtre des Fêtes ? C’est le vieux rêve de Wagner. Ce sera aussi le dernier, le suprême accomplissement de sa pensée. Un crépuscule ? Il en a le vague pressentiment à présent qu’il compose justement la quatrième journée de sa Tétralogie, la conclusion de son mythe. Mais la mort, qui se tient toujours accoudée à son piano, attendra bien qu’il ait terminé.

Le 22 mai, Wagner fête le cinquante-septième anniversaire de sa naissance. Cosima fait venir de Lucerne un orchestre de quarante-cinq musiciens pour célébrer cette journée solennelle. Liszt envoie une dépêche : « Dans les bons et les mauvais jours, indissolublement avec toi. » Et le roi Louis II, pris d’une subite inspiration, fait présent à Wagner de Grane, le cheval de la Walkyrie… Cosima, cependant, est triste, angoissée, remplie d’appréhensions. Elle songe à la solitude de Bülow, installé maintenant à Florence. Sa gorge se serre. Elle va cacher dans sa chambre ses larmes. Et, évoquant sa jeunesse, elle note dans son journal intime cette phrase de Mme de Staël qui lui revient en mémoire : « Ce beau temps où j’étais si malheureuse… »

Au début du mois de juillet, son divorce est prononcé. Hans lui abandonne même les enfants. Elle est libre enfin d’épouser Richard. À ce moment précis on parle pour la première fois dans les journaux, des menaces d’une guerre franco-allemande. Le 19, elle est déclarée. Et c’est Émile Ollivier, son beau-frère, président du gouvernement impérial français, qui