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RICHARD WAGNER

— Je suis absolument de votre avis, mais je dois me taire. L’habit que je porte m’impose des opinions que je ne peux renier ouvertement. Je connais trop les entraînements du cœur pour les juger avec sévérité ; les convenances me forcent au silence, mais, en moi-même, je souhaite plus que personne la solution légale de cette pénible crise. Je ne puis rien pour la hâter. Quant à la retarder de quelque façon que ce soit, je n’en ai jamais eu la pensée. »

Tout ce monde est réuni à Munich pour entendre la première représentation de L’Or du Rhin, malgré le veto de l’auteur, qui en sait la mise en scène manquée, puérile et même ridicule. Mais le roi exige qu’on joue quand même. Il a dépensé 60.000 mille florins pour les décors, il veut entendre la musique qu’il aime.

Hans Richter, cet admirable chef d’orchestre de vingt-huit ans, tout frais nommé au Théâtre Royal en remplacement de Bülow, fait cause commune avec son maître et donne sa démission. Betz refuse de chanter et Wagner accourt en cachette de Tribschen, pour examiner les choses. On l’empêche de voir le roi. Perfall — qu’il a pourtant fait choisir comme intendant — se révèle son ennemi acharné. Seuls les artistes sont tous pour Wagner. Ils reçoivent des lettres de menaces parce que la représentation est prorogée. Même les Mendès et Villiers sont bombardés d’injures anonymes : « C’est vous qui avez empêché le théâtre d’exécuter les ordres du roi ; vous êtes les valets d’un traître, traîtres vous-mêmes !… » Les autorités supplient Wagner de repartir, car on craint de nouveaux troubles. Il part. Et l’on joue L’Or du Rhin avec un chef d’orchestre et un Wotan de fortune, Louis II en ayant décidé ainsi afin que personne dans son royaume ne puisse désormais le taxer de faiblesse. Aucun des amis de Wagner n’assiste au spectacle. Non pas même Liszt, qui a manqué de la sorte et L’Or du Rhin, et Les Maîtres, et Tristan. Mais Franz veut tenir la promesse qu’il fit à Judith. Il se rend donc incognito à Tribschen, y passe une nuit, et le nuage qui plane depuis longtemps sur cette amitié compliquée se dissipe dans les larmes.

Car la tension nerveuse des derniers mois, si chargés d’événements, a éprouvé les nerfs de chacun. « Grâce au ciel, la santé de Wagner est bonne », écrit Cosima à Judith, « mais