conjurer le scandale public. Je me suis imposé une vie de
tortures incessantes pendant plus de trois ans. Vous ne vous
faites pas idée des agitations dévorantes auxquelles j’ai été en
proie sans répit. À la fin j’ai même sacrifié à ce but ma position
artistique et materielle. Il ne restait plus que le sacrifice
de ma vie, lequel, je l’avoue, aurait été le moyen le plus
simple d’arranger les choses, de couper le nœud inextricable.
Devant ce sacrifice, j’ai reculé — peut-on m’en faire un crime ?
Peut-être n’aurais-je point reculé si j’avais ressenti de la part
d’un autre, aussi sublime sans ses œuvres qu’incomparablement
abject dans ses actions, la moindre marque d’une
velléité de loyauté » le signe le plus passager d’un sentiment
d’honnêteté. Hélas, je ne devrais point procéder par accusation
pour ne pas ternir la seule chose qui me reste, la conscience
d’avoir été moins coupable envers autrui qu’on ne l’a
été pour moi. Mais cette accusation que je viens de formuler
et que vingt années de relations m’ont mis à même de prouver
plus qu’il ne faut, n’est-elle point nécessaire pour acquitter
une autre personne, laquelle autrefois, autant par la supériorité
de son intelligence que par la loyauté, la franchise,
la noblesse de son caraetère, vous ressemblait si fraternellement,
Madame ? Lorsque Madame votre belle-sœur sera libre
(il nous faudra attendre peut-être un an d’ici le jugement du
procès en séparation), lorsqu’elle aura légitimé devant « l’opinion »
sa liaison avec son amant — elle reviendra à elle —
elle n’aura plus à mentir du matin jusqu’au soir… Maintenant,
pourquoi son inconséquence au sujet de la séparation, dont
j’avais d’abord éliminé le mode judiciaire ? Au mois de novembre,
lui posant une question presque indélicate sur les
motifs de son brusque départ (je l’avais suppliée en vain
d’attendre l’arrivée de Liszt, au mois de janvier), Cosima
a trouvé bon de me répondre par un faux serment. C’est ce
dont j’ai été informé il y a quelques mois par les journaux,
qui annonçaient sans ménagement le bonheur du maestro
auquel sa maîtresse (le nom en toutes lettres) venait enfin de
donner un fils, baptisé du nom de Siegfried, fortuné présage
de l’accomplissement prochain de son opéra ! L’édifice (de
mes cornes) était donc couronné de la façon la plus resplendissante.
Je ne pouvais fuir de Munich — mais l’enfer que
j’ai enduré pendant le dernier temps de mon activité est ini-
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RICHARD WAGNER