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RICHARD WAGNER


conjurer le scandale public. Je me suis imposé une vie de tortures incessantes pendant plus de trois ans. Vous ne vous faites pas idée des agitations dévorantes auxquelles j’ai été en proie sans répit. À la fin j’ai même sacrifié à ce but ma position artistique et materielle. Il ne restait plus que le sacrifice de ma vie, lequel, je l’avoue, aurait été le moyen le plus simple d’arranger les choses, de couper le nœud inextricable. Devant ce sacrifice, j’ai reculé — peut-on m’en faire un crime ? Peut-être n’aurais-je point reculé si j’avais ressenti de la part d’un autre, aussi sublime sans ses œuvres qu’incomparablement abject dans ses actions, la moindre marque d’une velléité de loyauté » le signe le plus passager d’un sentiment d’honnêteté. Hélas, je ne devrais point procéder par accusation pour ne pas ternir la seule chose qui me reste, la conscience d’avoir été moins coupable envers autrui qu’on ne l’a été pour moi. Mais cette accusation que je viens de formuler et que vingt années de relations m’ont mis à même de prouver plus qu’il ne faut, n’est-elle point nécessaire pour acquitter une autre personne, laquelle autrefois, autant par la supériorité de son intelligence que par la loyauté, la franchise, la noblesse de son caraetère, vous ressemblait si fraternellement, Madame ? Lorsque Madame votre belle-sœur sera libre (il nous faudra attendre peut-être un an d’ici le jugement du procès en séparation), lorsqu’elle aura légitimé devant « l’opinion » sa liaison avec son amant — elle reviendra à elle — elle n’aura plus à mentir du matin jusqu’au soir… Maintenant, pourquoi son inconséquence au sujet de la séparation, dont j’avais d’abord éliminé le mode judiciaire ? Au mois de novembre, lui posant une question presque indélicate sur les motifs de son brusque départ (je l’avais suppliée en vain d’attendre l’arrivée de Liszt, au mois de janvier), Cosima a trouvé bon de me répondre par un faux serment. C’est ce dont j’ai été informé il y a quelques mois par les journaux, qui annonçaient sans ménagement le bonheur du maestro auquel sa maîtresse (le nom en toutes lettres) venait enfin de donner un fils, baptisé du nom de Siegfried, fortuné présage de l’accomplissement prochain de son opéra ! L’édifice (de mes cornes) était donc couronné de la façon la plus resplendissante. Je ne pouvais fuir de Munich — mais l’enfer que j’ai enduré pendant le dernier temps de mon activité est ini-