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RICHARD WAGNER


entière liberté d’esprit. Mais Cosima souffrait sans le laisser paraître ; à cause de ses enfants ; à cause de Hans ; à cause même de l’artiste dont elle continuait de se trouver indigne.

À l’aube du 6 juin de 1869, un dimanche, naquit le petit Siegfried, le seul fils de Wagner. Le soleil parut en cet instant au-dessus du Rigi. Les cloches des églises de Lucerne se mirent à sonner et le visage de Richard se couvrit de larmes. Il porta lui-même ces choses dans le journal de Cosima, reprit la composition du troisième acte de Siegfried et trouva aussitôt le thème musical dont il avait besoin pour accompagner ces paroles : « Bénie soit la mère qui te donnera le jour. »

Ce lien nouveau entre les deux amants devait fatalement conduire au divorce avec Bülow. Et celui-ci se résolut enfin au sacrifice qu’on attendait de lui, renonçant désormais à sauver la face, comme il l’avait fait pendant trois ans. Il sollicita du roi sa démission de chef d’orchestre et résigna ses fonctions de directeur de l’Académie de Musique que Wagner et lui avaient fondée. Il ne voulait ni ne pouvait plus vivre à Munich. Après avoir hésité, Louis II se rangea à son avis. Puis l’époux abandonné saisit la plume et rédigea pour celle qui n’était plus sa femme que de nom une lettre généreuse, en réponse à celle où Cosima lui demandait sa liberté.


« Je te remercie de l’initiative que tu as prise et ne chercherai aucun motif de la déplorer. Je me sens trop malheureux par ma propre faute pour ne pas éviter à tout prix de te blesser d’un reproche quelconque. Je prends à mon compte toute la faute, dans la séparation infiniment cruelle où tu te sens obligée, et je continuerai à le proclamer de la manière la plus ferme dans les discussions inévitables qui vont avoir lieu à ce sujet avec ma mère et ton père. Je t’ai très mal récompensée de l’attachement que tu m’as montré durant notre existence passée. J’ai empoisonné ta vie et ne puis que te remercier de ta prévoyance, laquelle, au dernier moment, te fit trouver l’antidote nécessaire alors que tu n’avais plus le courage de poursuivre cette existence. Mais, en vérité, l’unique salut dans mon naufrage m’a fait défaut depuis que tu m’as abandonné. Ton cœur, ton amitié, ta patience, ta prudence, ta sympathie, tes encouragements, tes conseils, et avant tout ta présence, ton regard, tes paroles, tout cela formait les