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LE NOUVEAU PÊCHEUR D’ÂMES


donc et devint — comme le dit plus tard un de ses familiers — la martyre du bonheur. Car pour cette âme scrupuleuse, le problème avait bien des faces : problème moral (Hans) ; problème maternel (lui laisserait-on ses filles ?) ; problème filial (la désapprobation de Liszt) ; problème religieux (elle était catholique et Wagner protestant). Le problème social était le seul dont elle ne s’inquiétât point. Mais Wagner sut trouver peu à peu à ses angoisses des réponses apaisantes, philosophiques. Et le goût de la solitude, un entier partage d’esprit, remplacèrent dorénavant les douceurs perdues. « Je suis toujours à ce point submergée par sa bonté envers moi, que, devant la certitude constante de sa grandeur, je voudrais fondre en larmes », note-t-elle dans son journal le 1er janvier de 1869.

C’est avec une vraie passion qu’elle accepta ses devoirs nouveaux ; non seulement les charges matérielles de toute sorte qui lui incombaient dans la maison, mais les tâches intellectuelles, la correspondance, les tractations avec les théâtres et les éditeurs, et surtout l’Autobiographie, dont Wagner continuait de lui faire la dictée.

Non sans refouler un profond malaise, elle écrivait l’histoire de Richard et de Mathilde. Et quand bien même Wagner a glissé sur sa grande aventure zurichoise avec une désinvolture et même une insincérité qui nous paraissent aujourd’hui regrettables, les événements de l’année 1858 frappaient au cœur celle qui les enregistrait et qui montrait le courage dont Mathilde avait manqué. Ces occupations la remplissaient de fierté, de reconnaissance. De plus, elle se trouvait enceinte une nouvelle fois. « Dans mon sein, l’incréé s’agire. Je le bénis. Puisse son esprit être doux et clair comme cette nuit étoilée, profond et paisible comme ce lac. Puisse-t-il penser plus tard avec amour à sa mère, qui avec amour le porta. » N’est-ce pas l’éveil de Sieglinde dans les montagnes de la Walkyrie, apprenant qu’elle donnera naissance à Siegfried, le fruit de sa douleur et le héros de la jeunesse du monde ? Le comte Eckart Du Moulin, le récent biographe de Cosima, l’a noté avec raison. Et l’on croit lire, en effet, dans le journal de tous ces incidents domestiques, un vivant commentaire de la Tétralogie.

L’amour marque cette période d’une calme douceur. Chez Wagner surtout, qui travaille pour la première fois avec une