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CHAPITRE III

LA MARTYRE DU BONHEUR ET NIETZSCHE,
LE NOUVEAU PÊCHEUR D’ÂMES


Bülow savait que le moment viendrait où il lui faudrait se séparer de Cosima. Son orgueil se soulevait contre l’homme dont il était obligé d’admettre la supériorité ; mais sa haine gagnait en violence et il connaissait trop sa femme pour espérer qu’elle faiblirait au moment décisif. Pouvait-il « supprimer » Wagner ? Il y songea un instant, s’entraîna à tirer au pistolet. Puis il abandonna ce projet puéril. Cosima partit donc, à peine le rideau tombé une dernière fois sur Les Maîtres Chanteurs. Elle prit congé de Hans, lui laissant ses deux filles aînées, et cette femme brisée, mais à demi délivrée, alla se réfugier auprès de celui qui l’attendait. Wagner l’emmena tout de suite en Italie, où ils voyagèrent ensemble pendant quelques semaines. Puis l’existence ouvrit pour eux un chapitre neuf, en tête duquel ils ne voulurent inscrire que ces mots : Tribschen, paix, tendresse, travail. C’est l’antique devise des cœurs fatigués ; et celui de Cosima ne l’était guère moins que celui de Richard Wagner. Elle avait trente et un ans et demi ; lui, cinquante-cinq. Mais elle se sentait plus âgée que ce vieil étadiant ingénu, dont la vie éternellement ballottée maintenait la jeunesse et les puissances. Cosima avait le sentiment profond que sa force, son calme, son amour étaient devenus pour Wagner des nécessités sans lesquelles il risquait un naufrage irrémédiable. Elle se dévoua