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RICHARD WAGNER


tient. Une fois la première colère passée, les dépêches rappellent le maître offensé. Il revient. Mais l’atmosphère passionnée ne se recrée plus. Et c’est à Cosima qu’échoit la charge d’adoucir l’amertume de Louis, d’apaiser Wagner, de ramener l’un vers l’autre ces amis qui ont cessé de se comprendre. « Je vous en supplie instamment, écrit le roi, essayez de décider l’ami à revenir tout de suite. Oh ! s’il savait combien je souffre de son départ. Si vous saviez le bien que me fait chacune de vos lettres ! Un éloignement durable entre moi, vous et l’ami ne se produira jamais. Le monde sortirait plutôt de ses gonds… Il est près de deux heures du matin et des harmonies divines m’enveloppent encore ; je ne saurais vous dire combien la fin (de Lohengrin) m’a ému. Entendre une œuvre de l’ami est une telle béatitude, que je ne puis la comparer à aucun autre bonheur sur cette terre. » Mais les amours de Wagner et de Cosima devaient leur coûter cher. Et malgré leurs efforts pour conserver intacte l’affection du roi Louis, de Bülow et de Liszt, ils vont perdre en bonne partie ces trois êtres, qui sont pourtant les seuls qui leur tiennent de près.

L’illustre abbé vint précisément, en ce temps-là, passer quelques jours auprès de « Cosette », à Munich. Il n’ignore pas la liaison de sa fille avec son plus intime ami, mais, pour indulgent qu’il soit — et oublieux de son propre passé — Liszt ne peut admettre qu’elle abandonne son mari et ses enfants. Bülow n’est pas seulement son élève le plus cher et son gendre, il est son fils d’élection ; et le grand virtuose au cœur limpide éprouve une inconcevable douleur à la pensée que sa fille trahit ses devoirs chrétiens pour devenir au monde un objet de scandale. Il ira donc voir Wagner à Lucerne pour obtenir de lui un renoncement qui s’impose.

Afin de se préparer à cette démarche difficile, Liszt va chaque matin à la messe de six heures et il assiste, caché au fond d’une loge, aux représentations de Tannhaeuser. « Salle comble, enthousiasme général », mande-t-il à la pricesse de Wittgenstein, à Rome. « Après le premier acte, Sa Majesté a porté un magnifique bouquet à sa fiancée, qui assistait à la représentation. Le mariage est annoncé pour la fin de novembre. Mais les ardeurs matrimoniales de Sa Majesté semblent fort tempérées. Quelques-uns présument