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L’IDYLLE DE TRIBSCHEN

Et c’est son excuse. Car il est assez probable que Cosima retrancha beaucoup de choses du manuscrit original de Wagner, comme elle altérera ou brûlera dans la suite une quantité de documents importants, mais qui eussent amolli, et peut-être gâté le marbre qu’elle avait si patiemment sculpté. On doit le regretter. Mais il faut comprendre aussi cette justification désespérée, qui était un peu la sienne. Son histoire à elle, devenait celle de Wagner. Ce n’était plus le récit d’une vie qu’elle cherchait à retracer, mais une légende qu’on lui avait confiée et qu’elle entourait tout de suite de soins vigilants[1].

« Nous n’entendons ni ne voyons plus rien de ce qui se passe dans le monde, » note-t-elle pour Louis II. « Vers midi, l’Ami me fait part du travail de la matinée. L’après-midi, il marche à travers les champs, où je vais à sa rencontre. Puis il passe une heure avec les enfants, qui se portent fort bien ici. Le soir, il me conte sa vie si difficile, et ce récit s’achève toujours en un hymne à la louange de Parsifal… Nous n’entendons que les sonnailles des vaches, descendues en troupeaux des alpages vers nos prairies ensoleillées, où elles nous suivent de leurs gros yeux. Dans le salon se trouvent le tableau de Tannhaeuser, les images de l’Or du Rhin, les bustes du Protecteur de cette maison et celui de son Protégé. Sur la cheminée est placée la pendule des « Minnesæoger », votre premier cadeau de Noël, que Loge a transporté céans. En face, entre les deux portes, est le portrait à l’huile (offert par le roi) sous lequel sont groupés les objets que l’Ami a reçus au cours de sa carrière : les coupes d’argent, les couronnes, les statues de Tannhbaeuser et de Lohengrin. Le piano est entre les deux fenêtres ; au-dessus, les médaillons de Liszt et de Bülow. La petite pièce à côté du salon est devenue la bibliothèque… En haut, est l’atelier. Aujourd’hui, Beckmesser a été mis en musique après la scène si incroyablement belle entre Walter et Sachs. Lorsque l’Ami me chanta les mesures qu’il venait de composer sur ces paroles : « c’étaient des maîtres besogneux, des esprits que la fatigue et le mal de vivre oppressaient », nous éclatâmes tous deux en sanglots.

  1. On trouvera un examen impartial et complet de l’authenticité des quatre parties de Mein Leben (Ma Vie) dans l’ouvrage de M. Ernest Newman : Fact and Fiction about Wagner (p. 188 à 204). Le Dr. J. Kapp en a tournii les éléments dans un article de la revue allemande Die Musik (juillet 1930).