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RICHARD WAGNER


La gloire n’est décidément pas pour lui un programme d’action, et le vieux pessimiste retrouve avec plaisir les stimulants du malheur.

C’est de nouveau la chère Suisse, le lac de Genève, Vevey, la pension Beau-Rivage. Bientôt il se remettra au travail abaudonné des Maîtres Chanteurs. « Je me considère comme sauvé… Espoir en mon travail… Retraite complète dans un paysage étranger ; plus aucunes relations ; telles sont les conditions profondes de mon retour à la vie », écrit-il bientôt à Mathilde Maier. Et à Cosima : « Il faut que je sois sourd et aveugle durant un certain temps… La nature, en moi, est morte. Tu me comprends, et ma consolation sera, je l’espère, d’arriver à un apaisement complet. Ô ciel ! fais que toute expérience soit menteuse, tout savoir vain et que seul notre amour demeure puissant et vrai. » Sa pensée se reporte aussi vers le jeune roi qui a donné ce qu’il a pu à son amour, mais n’a pas eu la force de faire valoir ses droits. Wagner lui garde sa confiance et sa pitié, mais sans plus se leurrer sur le pouvoir de cette main trop chargée de bagues.

Wagner se retrouve donc dans la ville de Genève, où il vint ce réfugier après ses adieux à Mathilde Wesendonk. Il y loue une jolie propriété de campagne, nommée « Les Artichauts », et il rouvre sa serviette à manuscrits dont il tire l’instrumentation inachevée du premier et du deuxième acte de Siegfried et celle des Maîtres. Un tapissier est convoqué, et Wagner, pour la vingtième fois, se remet à décorer, à clouer, à suspendre rideaux et portières, Il reprend ses travaux du matin, ses longues promenades de l’après-midi[1]. Mais un malencontreux petit incendie dans son cabinet de travail fraîchement organisé, le chasse en plein hiver de sa nouvelle demeure et il se met à la recherche d’un climat moins rude. De Genève, il gagne Lyon, Avignon, Toulon.

Dans la nuit du 25 janvier de l’année nouvelle (1866), étant au Grand Hôtel, à Marseille, on lui remet une dépêche qui voyage à ses trousses depuis un jour ou deux. Elle vient de Dresde, est signée du docteur Pusinelli, et lui apprend en

  1. Le 20 janvier il envoie un long télégramme à Cosima : « Ruhe, ruhe, es muss sein. » Mme de Bülow le communiqua au roi, puis y ajouta de sa main : « Ich hoffe immer noch. » (Archives de Bayreuth)