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HAMLET II DE BAVIÈRE


mes fidèles. Lorsqu’un homme véritable, un homme qui est à lui seul une force, se donne à moi sans réserve, je suis sûr que le destin s’acharnera sur lui… Allons, quand on est en guerre avec le destin, il ne faut pas regarder en arrière, mais en avant. » Le roi lui-même ne peut le consoler. « Cette nuit finira dans la clarté éternelle, écrit-il à Wagner, la lumière et la vérité doivent seules triompher. Ce sera ton œuvre ; courage donc, et pas d’angoisse. Victoire éblouissante. » Trop tard. Car malgré ses efforts pour saisir le sceptre, Hamlet en est incapable. C’est une victime de la littérature. Sa grandiloquence reste impuissante. Or, Wagner ne peut plus être sauvé par des mots. Les Polonius intriguent contre leur prince et ils ont juré la perte d’Horatio.

« Nous ne nous séparerons jamais », dit Louis II en invitant Wagner dans ses montagnes. Mais si le musicien s’y rend, navigue sur le yacht royal, se promène seul avec son « Parsifal » dans une calèche attelée de six chevaux blancs et fait encore des projets d’avenir, au fond il n’y croit plus. Son pouvoir n’est ancré, il le sait, que dans l’imagination d’un bâtisseur de châteaux. Celui des Pfordten et des Pfistermeister s’appuie sur la loi, les finances et la crédulité publiques. « En vérité », écrit Wagner une fois de plus à Elisa Wille, « je ne vis plus. Tout est miracle et songe, sinon tout serait douteur mortelle. » Mais il y a le travail, ce Parsifal justement, dont il jette la première esquisse. Puis Semper arrive de Zurich et ils crayonnent ensemble sans trop y croire, le plan du théâtre des Nibelungen qui s’élèvera sur les quais de l’Isar, face au Palais Royal, auquel le relieront une avenue nouvelle et un pont monumental. Au théâtre s’ajoutera la construction d’un nouveau Conservatoire. On fondera aussi un journal, qui sera le porte-parole des artistes. Ravissement de Louis qui se donne trois ans pour faire de ces rêves une réalité de granit. « Je veux, je veux », s’écrie-t-il. Mot de faible. Et de cette conception somptueuse, qui aurait dû faire de Munich la capitale de la musique, il ne restera plus tard qu’une aquarelle dans le salon de Wagner.

Mais cette fois la politique a fait ses jeux et les cartes sont données. Pfistermeister, l’ancien conseiller aulique, est à la tête d’un parti conservateur qui travaille à représenter Wagner comme un danger public, autant par ses idées que par ses