quées d’incidents burlesques ou pénibles, envenimés par le
vocabulaire désobligeant d’un Hans de Bülow à bout de nerfs.
On raconte qu’il a traité le futur public de « saligauds ».
Tollé en ville. L’orchestre veut faire grève. Il faut le pacifier,
le ramener. Heureusement Schnorr von Carolsfeld remplit
Wagner d’une émotion surnaturelle qui efface ces contrariétés.
Devant cet artiste unique, pas besoin d’explications, de
compliments. Il suffit de peu de mots et de quelques indications
scéniques pour lui faire comprendre le sens le plus secret,
le plus mystique de son rôle. On parvint donc à la
répétition générale quand les ennemis de Wagner font éclater
une mine soigneusement préparée : exhumant une vieille
traite que le compositeur avait signée cinq ans plus tôt pour
couvrir les frais de ses concerts parisiens de 1861, et qui
n’avait jamais été payée, ils portent plainte en justice et
demandent l’incarcération du défaillant. Mais il va de soi que
le roi paye aussitôt la somme réclamée en suppliant l’ami de
pardonner à ceux qui « dans leur méchanceté et pourriture »
ne savent ce qu’ils font. Cette menace à peine écartée,
Mme Schnorr (Isolde) tombe malade et il faut ajourner le
spectacle alors que la salle est entièrement louée, et que la
ville est pleine d’amis accourus de Londres, de Paris, de
Francfort, de Dresde. Seuls manquent à l’appel Minna, Mathilde
Wesendonk et Liszt. Minna, parce qu’elle est gravement
malade ; Liszt, parce qu’il vient d’entrer dans l’état ecclésiastique
en recevant au Vatican les ordres mineurs ; et Mathilde,
parce que l’étalage public du drame de sa vie lui serait
insupportable. Wagner l’a invitée ; elle n’est pas venue et il
en éprouve de l’amertume. Cela lui paraît « petit ». Il ne voit
pas que c’est la marque la plus délicate qu’elle puisse lui
donner encore de son amour. Mais il voudrait qu’elle assistât
à cette revanche de son orgueil. Car un artiste recule rarement
devant cette sorte d’impudeur. L’œuvre qu’il a écrite avec son
histoire, consacrée par ses tourments, retravaillée et en quelque
sorte réduite à l’image de lui-même est détachée de sa
chair comme un enfant que sa mère a mis au monde dans les
sueurs. Il n’en souffre plus ; il en est fier.
Ainsi cette « première » fameuse, le soir du 10 juin de 1865, ne se joue-t-elle pas uniquement sur la scène du théâtre de la Cour de Munich. Bien des cœurs fouaillent leur solitude