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HAMLET II DE BAVIÈRE


celui d’une diplomatie ferme et souriante qu’elle a héritée, avec toutes les grâces de l’intelligence, de son père, et la lucidité de sa mère en plus. Elle a et elle garde la confiance du roi. Son succès dans les salons de Munich est vif aussi, rachète souvent les brusqueries de Bülow et les petites vexations d’amour-propre que Wagner distribue autour de lui sans s’en douter.

Mais le temps approche où va naître enfin ce Tristan que son auteur promène dans le monde depuis six ans sans parvenir à lui insuffler la vie. Et comme l’existence de Wagner est marquée depuis plus d’un demi-siècle de signes prophétiques, il ne peut manquer de s’en manifester un durant ces semaines de répétitions harassantes et magnifiques, que Wagner appelle la plus grande époque de sa vie. Et il se manifeste en effet, ce signe.

Le 12 avril, au matin, deux heures avant la première répétition d’orchestre, Cosima accouche d’une fille. Et cette fille, on la nomme Isolde. Ce nom de douleur proclame assez qu’elle est l’enfant du plus tenace des mensonges amoureux. Du plus héroïque aussil ; du plus ineffaçable. Et peut-être aucun homme ne saurait-il comprendre l’énergie qu’il faut à une femme pour le soutenir avec dignité sans que jamais n’éclate entre ses lèvres l’aveu d’une faute dont elle ne sent que la tendre gloire. Mais Cosima est d’une trempe à ne point faiblir sous le bonheur. Le témoignage qu’elle rend ce jour-là à celui qu’elle aime a marqué sa vie d’une rude grandeur. Il ne l’a même point séparée de Bülow. Au contraire. Car si elle n’appartient plus désormais à l’homme qui lui a donné son nom et ses deux premières filles, cette Isolde d’un jour a opéré le miracle d’ouvrir le cœur de sa mère en même temps qu’à la joie, à une souffrance fraternelle dont elle ne se croyait guère capable, et qu’elle portera la tête haute et l’âme déchirée durant plus de cinquante ans. Elle est exorcisée. Et Wagner l’est aussi. Maintenant seulement l’autre Isolde est entrée pour toujours dans le passé.


Sur ce fond d’événements intimes se détachent les répétitions de Tristan, devenu autant une bataille politique que l’attaque décisive des musiciens de l’avenir. Répétitions mar-