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HAMLET II DE BAVIÈRE

Dès la fin de novembre de 1864, Sa Majesté prend la décision de faire construire un grand théâtre moderne, afin que l’on puisse y monter dignement L’Anneau du Nibelung. Et le 4 décembre a lieu, sous la direction personnelle de Wagner, une représentation de ce Hollandais Volant que l’intendant de Munich, près de vingt-cinq ans plus tôt, avait déclaré impropre à l’Allemagne. Public complet, mais réservé. Déjà il semble qu’il y ait dans cette capitale hostile aux étrangers de forts courants d’opinions en sens contraires ; les uns, sympathiques à ce jeune roi en mal de grandeur et à son favori plébéien ; les autres, réticents, inquiets, pleins de méfiance pour l’éminence grise qui règne sur le cœur et sur la caisse du souverain. On se souvient qu’il fut révolutionnaire et il ne se cache pas d’être libre penseur. On chuchote quelques nouvelles à sensation : Semper, l’architecte (autre révolutionnaire de 1848), serait arrivé à Munich pour y soumettre les plans d’un théâtre modèle ruineux ; Wagner tirerait à boulets rouges sur les fonds de la liste civile ; ou aurait payé pour lui des dettes énormes. Certains journaux impriment sur ces choses d’un intérêt passionnant de petites notes perfides. L’envie se réveille aussi, celle des musiciens, des chefs d’orchestre, des poëtess patentés qu’agace l’intrusion de ce folliculaire qui rédige lui-même ses livrets d’opéra, publie des traités" de philosophie et parle de réformes ; l’inventeur de la musique de l’avenir, ce va-nu-pieds célèbre par ses échecs, l’ennemi de Mendelssohn et d’Israël !

La politique aussi s’en mêle. Un parti cherche même à utiliser Wagner pour obtenir l’appui de Louis II en faveur d’un nouveau royaume rhénan et westphalien qui engloberait une partie de la Belgique sous le sceptre de la maison princière de Tour et Taxis, une sorte de royaume de Bourgogne En échange de son appui, la Bavière recevrait la promesse de quelques agrandissements… Les Jésuites mènent l’affaire, financée par une banque de crédits agricoles dont l’activité s’étend jusqu’en Autriche. Et le diplomate retiré, chargé de conduire les pourpar1ers, n’est autre que le vieux Klindworth, parent du pianiste et père de la charmante Agnès Street, qui fut, il y a quelques années, une tendre élève de Liszt. Ainsi se recoupent les fils tendus par le sentiment et l’amitié à travers l’Europe politique.