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HAMLET II DE BAVIÈRE


comme ma propre âme… De la magie de son regard, vous ne vous faites aucune idée… Il est, hélas, si beau et si rempli de spiritualité, que j’ai peur de voir s’évanouir sa vie comme un rêve divin » (à Mme Wille). « Je crois que s’il allait mourir, je mourrais l’instant d’après » (à Bülow).

Déjà, à la source même de ce bonheur, la pensée que la mort y va mettre fin trop vite ! Et déjà, quelques semaines plus tard, la solitude ! Pourtant, le roi l’installe aussitôt dans la villa du comte Pellet, sur le lac de Starnberg, à un quart d’heure de sa résidence. Et chaque jour, il vient le voir ou le mande chez lui. Ce disciple, dont l’éducation fut vide de tendresse, écoute avec ferveur le maître des mystères du sentiment, le chef du monde surnaturel de l’esprit. Tout ce qu’il a déjà deviné de bassesse et de cupidité chez ses fonctionnaires, il s’en lave auprès de ce Lohengrin paternel, éclatant de génie, qu’il a eu le bonheur d’accueillir dans son royaume. Et Wagner, dans ce monde d’enchantements où ses désirs font loi, gémit du mal incurable qui lui en a ouvert l’accès.

Ses dettes sont payées. Il reçoit en présent une maison à Munich. Le théâtre, l’orchestre, l’intendance, tout est mis à sa disposition, mais ses salons sont vides comme sa vie. « Malgré le « miracle royal », ma solitude est terrible ; je ne puis conserver la faveur de ce jeune monarque qu’en me maintenant sur les plus hautes cimes. » À peine en possession de sa paix et d’une immense autorité, l’exercice lui en paraît fade, la jouissance sans charme. L’adoration quasi mystique que professe pour lui son suzerain, le touche, l’oblige, le flatte, mais n’apaise aucune de ses anciennes fièvres. Auprès de Louis, Wagner se sent devenu objet de culte, idole, mais quel froid sous sa tunique de dieu !

Depuis qu’il a perdu Isolde, le seul éclair de la chère souffrance dont il faut mourir pour vivre supérieurement, il l’a éprouvé au Gewandhaus et sur les coussins d’un landau, auprès de Cosima. C’est là une dernière chance de pressurer de soi les suprêmes musiques. Aussi écrit-il à Hans pour l’arracher à Berlin, où il végète, l’appeler auprès de lui. « Ce qui serait beau, c’est que tu restasses ici définitivement en qualité de pianiste de mon jeune roi. Car nous avons résolu de nous créer un monde à part… » Et il jette ce programme d’action : « 1865 : Tristan, Maîtres Chanteurs. — 1866 : Tann-