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RICHARD WAGNER


meister à la recherche du poëte dont il avait résolu de faire le ministre d’un règne dédié à la beauté et à l’architecture.

Amené à Munich prisonnier de sa sorcellerie, l’artiste échappé au suicide ce trouve pour la première fois face à face avec le roi juvénile. C’est Wotan et Siegfried sur les hauteurs symboliques d’un monde finissant. Mais, dans ce palais, les rôles sont renversés. Le maître de l’heure n’est pas Siegfried, le charmeur d’oiseaux, le vainqueur des dieux et des monstres ; c’est le Voyageur inquiet » le Juif errant de l’amour, ce Tristan usé et fuyant toujours ses créanciers, qui va montrer maintenant qu’aux divinités agonisantes de l’ancienne morale vont succéder des hommes, de simples hommes attachés à la vie et à l’action. Aussi un malentendu va-t-il naître tout de suite, à leur insu, entre cet idéaliste adolescent et le vieux combattant qui a faim et soif de jouissances. Car le révolutionnaire de 48 n’a changé que de camp, mais non d’âme, ni de tempérament. Il est resté le chantre de la mort, certes, mais comme tous ceux qui la désirent vraiment, ce ne sera pas avant d’avoir épuisé la vie jusqu’au fond. Du reste, quel sens attache-t-on à ces métaphores de « victoire » et de « défaite » ? Figures antiques que recouvrent aujourd’hui les mots plus vivants de volonté ou de faillite. Ce que demande Wagner, c’est d’être cru, d’être aimé, et de pouvoir enfin escompter à son tour un chèque valable sur l’avenir.

Il incline son visage sur la main du roi déjà rongé d’un mal héréditaire » celui de l’illusion. Louis l’attire sur son cœur : « Sans le savoir » vous avez été la source unique de mes joies et, dès ma plus tendre enfance, mon meilleur maître, mon éducateur et un ami qui, comme nul autre, a su parler à mon cœur… Soyez assuré que je ferai tout ce qui est en ma puissance pour vous dédommager de vos souffrances passées. Les bas soucis, je les écarterai pour toujours de votre tête. Le repos auquel vous aspirez, je vous le donnerai, afin que vous puissiez développer librement votre merveilleux génie. Maintenant que je porte la pourpre, le moment est venu d’employer mon pouvoir à adoucir votre vie. »

Et Wagner crie sa joie, sa surprise à ses amis : « L’incroyable est devenu vérité. Un roi m’a été envoyé du ciel : j’existe par lui et je deviens moi-même ; il est ma patrie et mon bonheur » (à Mme de Moukhanoff-Kalergi) : « Il me comprend