batière d’or des musiciens de Moscou, même le fameux « cygne »
d’Érard. Une tournée de concerts projetée en Russie et
sur laquelle il a compté, s’avère brusquement impossible. Ses
amis Cornélius, Standhartner, Tausig et le prince Lichtenstein
lui conseillent de disparaître. Il n’est que temps de plier
bagage, de liquideri, d’emporter les plus précieux vestiges de
ce luxe dont il fut parlé dans les journaux.
L’après-midi du 24 mars de 1864, il monte dans le train pour gagner de nouveau la Suisse et il traverse Munich le vendredi-saint. La ville est en deuil de son roi Maximilien, mort deux semaines plus tôt. Un adolescent, son fils, vient de lui succéder sur le trône. Dans une vitrine, Wagner aperçoit le portrait de ce jeune homme, semblable, sous l’hermine royale, à quelque prince de conte de fées. Quelle destinée l’attend ? L’artiste se sent ému devant la grave beauté de cet enfant solitaire, qui paraît le regarder, l’interroger, lui, le sorcier traqué par la malchance. Il ricane, et se compose à lui-même une épitaphe humoristique.
Le lendemain, il arrive à Mariafeld, chez les Wille. Élisa Wille s’y trouve seule, son mari étant à Constantinople. Mais elle invite Wagner à séjourner dans les dépendances de sa maison, où il a logé souvent aux temps anciens du Zeltweg. Cette amie dévouée installe de son mieux l’hôte inattendu et souffrant. On chauffe son appartement, on prévient les amis de la Colline Verte, qui envoient à Richard leur piano. Mais il n’est pas d’humeur à travailler. Il se promène seul, ou bien s’installe sur la terrasse, enveloppé dans sa pelisse et coiffé de son béret de velours, qui le fait ressembler à quelque patricien des temps d’Albert Dürer. Parfois, il vient tenir compagnie à Mme Wille dans son salon, s’assied près de la fenêtre et parle de sa jeunesse, de ses rêves déçus, de ses œuvres, même de sa femme, dont la solitude, si pareille à la sienne, lui pèse. « Entre nous deux, cela aurait pu marcher. Mais elle ne sentait pas qu’un homme comme moi ne peut vivre les ailes attachées. Que savait-elle des droits divins de la passion, tels que je les ai proclamés dans les flammes de la Walkyrie ? »
Il reçoit des lettres, et même un peu d’argent de ses tantièmes français Quelquefois, il lit pendant des journées entières : Jean-Paul, Walter Scott, George Sand, et un