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RICHARD WAGNER


bien parfumé… Achète tes meilleurs flocon afin qu’il y règne une bonne odeur… Oui, oui, sois belle et gentille, je mérite d’avoir encore un bon moment. »

L’argent s’évapore vite, malheureusement, dans cette serre. Et il est bien certain maintenant qu’on ne donnera pas Tristan à Vienne. Après soixante-dix-sept répétitions, le Théâtre de la Porte de Carinthie y renonce, parce que la partition est vraiment injouable. Esser lui-même, chef d’orchestre remarquable et d’une heure conscience professionnelle, l’un des meilleurs que Wagner ait jamais eus déclare Tristan absurdement difficile, et quoiqu’il reconnaisse l’engouement du public pour la musique wagnérienne, il avoue ne le point partager. Toujours la même histoire depuis vingt ans : une popularité qui s’accroît, qui s’étend, mais une hostilité évidente chez les directeurs et dans les administrations. D’autre part Schott, lassé par les demandes d’argent continuelles de cet auteur exigeant, dont on ne sait pas si l’avenir confirmera les illusions, refuse tout nouveau subside. Il ne reste qu’à donner des concerts à Pest, à Prague, mais le résultat financier ne répond jamais aux espérances. La situation empire rapidement. Elle n’a même jamais été aussi critique. Il voudrait retourner s’établir auprès de sa sœur Brockhaus, à Dresde, mais il hésite à cause du voisinage de Minna. Il cherche même, dans son désarroi, s’il n’existe pas n’importe où quelque femme riche qui consentirait à unir son sort au sien. En attendant, il emprunte. Il signe des traites. Dans sa détresse, il écrit encore, il appelle au secours. Et le nom qui lui vient une fois de plus sous la plume est celui de Mathilde…, de Mathilde Wesendonk.

« Je n’ai pas de chance, et il faut un peu de chance pour maintenir l’homme dans l’idée qu’il appartient au monde… J’en ai assez de la vie… Mais on ne meurt pas facilement quand cela ne doit pas être… Je n’ai plus désir de rien. Tout recueillement m’est devenu impossible ; une profonde et angoissante préoccupation domine ma vie intérieure. Je n’oi pas de présent et n’aperçois aucun avenir. Pas trace de confiance, de foi. Croyez-moi, c’est un étrange sentiment de savoir que même vous ne connaissez pas mes œuvres. Qu’est-ce donc que mon esprit, mes ouvrages ? Sans moi (qui suis seul à les comprendre) ils ne seraient là