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« LE MONDE ME DOIT CE DONT J’AI BESOIN »


Penzing. Wagner renonce du coup à la propriété rhénane, car il a hâte de s’établir selon ses goûts pendant que sa bourse est encore bien garnie. Et malgré l’instant d’émotion si vive du Gewandhaus, il n’abandonne pas l’idée de faire venir son intendante, tant son horreur de la solitude est profonde. « Oui, je te le dis, lorsque je pensais aux bords du Rhin ce n’était pas pour t’avoir, mais pour te devenir quelque chose… Tu ne sais pas comme moi ce qu’est la solitude. J’en suis tout à fait malade… Mon enfant, au lieu de nous séparer, le destin nous unira pour toujours. Je t’aime profondément. Laisse ta fierté, tes larmes. Tu es à moi. Le reste se trouvera. » C’est pourtant Cosima qu’il aime, mais le vide de sa nouvelle demeure a quelque chose de si pesant qu’il faut à tout prix le meubler. Il ne demande qu’une présence, rien de plus. Et comme Mathilde ne peut se décider à faire table rase des principes « bourgeois » de sa famille, il s’assure les services d’une jolie femme de chambre, une Viennoise gaie, gentille… Elle l’aide à organiser la villa, où Wagner peut enfin se croire pour longtemps chez lui. Il engage un valet et sa femme comme cuisinière, et, cette fois, s’adonne avec rage à ses fantaisies somptuaires.

La salle à manger est tapissée d’un papier brun-foncé semé de boutons de roses ; le grand salon est lilas uni, avec des rayures grenat et or dans les angles ; pour le salon de musique : rideaux de laine à dessins persans, canapé et fauteuils pareils ; chambre à coucher lilas, rayures vertes, genre velours, et rideaux de lit violets. Partout des portières et ving-quatre robes de chambre en soie dans son armoire ! « J’attends encore, écrit-il à son tapissier, 1o les deux fauteuils bruns pour le salon de musique ; 2o le meuble d’angle, derrière le canapé ; 3o les deux fauteuils de soie violette pour la chambre verte ; 4o le grand fauteuil de soie violette ; 5o le siège capitonné en velours rouge ; 6o la grande glace ; 7o les tapis de velours violet et la commode d’acajou ; 8o tours les rideaux pour la chambre verte ; 9o les stores de laine pour le cabinet de travail, etc. etc… » Ce combat de couleurs violentes le remplit d’aise, excite son imagination, l’agite comme une jeune mariée. Lorsqu’il s’absente pour diriger quelque concert, il adresse à sa jolie gouvernante des recommandations pour son retour : que tout soit prêt, propre, doucement chauffé. « Que mon cabinet de travail soit bien agréable…