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RICHARD WAGNER


qu’un qui se résoudrait envers et contre tous à me devenir ce qu’une femme peut et doit être pour moi si je veux survivre… Il me faut une femme aimée à mes côtés, fût-ce une enfant. Et alors je me dis : celle qui m’aimera assez pour cela se trouvera… Tu vois, ce sont là les pensées de Noël et du Jour de l’An d’un désespéré. Dieu sait ce que tu en diras. » Mathilde songe que cela dépasse ses forces, que cela dépassera surtout le bontés que sa famille a déjà eues pour cette sorte de demi-veuf qu’elle admire et redoute. Et Wagner le sait. Il n’insiste guère. Mais le désir d’un établissement durable, d’un domicile fixe, du repos, s’exaspère en lui au point de le rendre presque malade. Cette perpétuelle absence du sécurité, voilà sa vraie tragédie. Et s’il tend les bras vers toutes les femmes qu’il rencontre, c’est que sous leurs mains apaisantes il voit s’organiser la retraite où son cerveau pourra se libérer des œuvres qui l’encombrent, où le ménage sera teuu sans bruit et sans dettes, où l’on prendra soin de sa table, où s’aligneront, dans ses placards, vêtements et robes de chambre.

Au mois de mars, il dirige des concerts à Saint-Pétersbourg et à Moicou. Et ce voyage est couronné, cette fois, non seulement d’un succès comme il n’en a jamais rêvé, mais d’un beau résultat financier. Sept mille thalers de bénéfice ! Jamais encore Wagner n’a récolté tant d’argent en cours d’une tournée. Il en envoie une partie à Minna et décide d’utiliser le reste à se créer une installation définitive. Peut-être sera-ce une maison dans la région rhénane. Vieux projets toujours repris ; lettres détaillées à Mathilde Maiers. « Je suis décidé à acquérir un terrain… Cherche sur les bords du fleuve… quelque chose d’assez grand, avec des arbres… » La jeune fille devient son intendante et la gardienne de cet or du Rhin qui lui comme le trésor d’Albéric. Il la presse de recommandations parce qu’il se sent riche, parce qu’on l’acclame ; il reviendra dans ce pays de cocagne, où la Grande-Duchesse Hélène lui accorde une protection flatteuse et lui offre un diamant magnifique. Mais, pour la première fois de sa vie aussi, il éprouve brusquement, à Moscou, une étrange brûlure dans la poitrine… Au moment d’atteindre au but, va-t-il mourir ? Ce n’est qu’une alertee, de fausses alarmes sans doute.

Peu de jours après, il est rentré à Vienne où Tausig a déniché pour lui une maison confortable dans la banlieue de