fut si jaloux — la Minna courtisée si infidèle qui lui apprit
l’art de souffrir — l’épouse résistante des années de misère —
puis l’ennemie, l’étrangère — et maintenant il regarde s’effacer
sur le quai la petite silhouette pitoyable. Ces époux
qui ont usé l’un contre l’autre leurs âmes comme deux pierres,
s’écriront encore quelques lettres, mais ne se reverront
jamais.
Cei hiver-là, Richard le passe à Vienne, où il est arrivé avec Frédérique Meyer, femme complaisante, mais de mauvaise santé. Et cette liaison, assez affichée, déplaît beaucoup à Mme Dustmann, la sœur de Frédérique. C’est ennuyeux, parce que Mme Dustmann doit chanter le rôle d’Isolde lorsqu’on donnera Tristan au Théâtre de la Porte de : Carinthie. Aussi la situation s’étant assez vite compliquée, Frédérique se décide-t-elle à un long séjour en Italie pour rétablir sa santé et tâcher d’oublier celui auquel elle s’est trop fortement attachée. Wagner ce retrouve donc libre.
Mais il y a dans l’air de Vienne, cette saison-là, de la malchance et de l’hostilité. Le ténor Ander est sans cesse souffrant et ne peut étudier sa partition ; Mme Dustmann reste mal disposée. En attendant mieux, il faut donner trois concerts qui ont un succès inimaginable, mais… ne rapportent pas d’argent, tellement les frais en ont été élevés. Pourtant la jeune impératrice Élisabeth y a assisté et, debout dans sa loge, a joint ses bravos aux ovations d’un public transporté. Brahms, le nouveau compositeur, se trouve dans la salle aussi ; mais il reste froid et se moque de Weisheimer, qui applaudit à en déchirer ses gants blancs. On rappelle Wagner vingt-trois fois (Weisheimer en fait le compte) et il ne peut pourtant pas payer sa note d’hôtel. Bonne occasion de commander du champagne à crédit. « Il me manque une patrie », écrit-il le 4 janvier de 1863 à Mathilde Maier, « non la patrie terrestre, mais celle du cœure. J’aurai cinquante ans au mois de mai. Je ne puis me marier tant que ma femme vivra, et divorcer maintenant, dans l’état actuel de sa santé, serait lui porter le coup mortel. Tu le vois, je cours donc à ma perte. Une présence féminine me manque, quel-
