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RICHARD WAGNER


écoutent l’admirable Bülow au clavier. Peut-être Wagner se souvient-il du jour où Hans adolescent vint le trouver lorsqu’il composait Lohengrin dans la campagne saxonne, où l’étudiant d’alors lui apporta sa foi, son amour… « Sur le tillac, l’homme pâle veille sans relâche… » Et aujourd’hui comme alors le Hollandais ne dit-il pas à Senta : « Le sombre feu dont je me sens embrasé, faut-il lui donner le nom d’amour ? Hélas non, c’est l’attente inquiète de la délivrance. » Ils prirent le parti de rire, à cause des œuvres informes de Weisheimer. Puis l’orchestre joua l’ouverture des Maîtres Chanteurs. Puis celle de Tristan. Allons, ce n’était encore une fois qu’une fortuite rencontre de ses plus belles mélodies — et les vivants n’ont rien à redouter des fantômes.


De Leipzig, Wagner se rend à Dresde, afin de revoir celle de ses compagnes d’existence qu’il a exclue du Gewandhaus : Minna. Elle vient le chercher à la gare et le conduit dans le quartier neuf où elle s’est installée. Sur le seuil de l’appartement, un petit tapis accueille le vagabond par un « salve » que l’épouse solitaire y a brodé. Il retrouve les beaux meubles de Paris, les rideaux de soie rouge, une chambre aménagée tout exprès pour lui et un cabinet de travail où l’attend son grand bureau d’autrefois, racheté par Mme Ritter après la fuite de l’Asile, et que Minna n’a point fini de payer. Pour rompre la glace, celle-ci a même invité sa belle-sœur Clara Wolfram. Deux jours s’envolent ainsi tant bien que mal en visites aux Brockhaus, au docteur Pusinelli, aux ministres que Wagner tient à remercier pour son amnistie, à revoir une ville où tous les visages ont changé, du marchand de gants aux solistes de l’orchestre. Pour faire plaisir à sa femme, il lit un soir devant un groupe d’amis ces Maîtres Chanteurs qu’elle avait si malencontreusement interrompus durant son triste séjour à Biebrich. Et, grâce à un cadeau d’argent inattendu de la Grande-Duchesse de Weimar, il peut la pourvoir du nécessaire pour l’hiver suivant.

Puis Wagner se décide à repartir tout de suite. Minna en est toute saisie. Mais Richard n’a vraiment plus rien à dire à cette moribonde, en qui le moindre choc risque d’étendre l’affreux mal qui dilate son cœur. Muette, elle le raccompagne à la gare, la jolie Minna de Magdebourg dont il