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RICHARD WAGNER


Ce n’est pas pour rien qu’elle a nommé sa fille aînée Senta. du nom de celle qui fut infidèle à une promesse, mais exacte à son destin.

Aucun écho de ce débat ne passe ses lèvres. Cosima est vouée au silence, et ni Hans, ni Richard ne se doutent de rien. Lorsque, après deux mois de séjour à Biebrich, les Bülow reprennent la route de Berlin, Wagner, dans ses lettres à sa femme, ne mentionne même pas leur nom. « Les Schnorr sont venus, les Dustmann, etc… » (Il se méfie, car Minna devine encore trop de choses.) Etc…, c’est Cosima, Mathilde Maier et une jeune femme nouvelle, qui, en cette époque d’inquiète agitation, vient d’apparaître sur l’horizon rhénan, une actrice qu’il a rencontrée au théâtre de Francfort : Frédérique Meyer. Deux Mathildes dans sa vie, et deux demoiselles Meyer… ainsi le veut son sort !

Frédérique est la sœur de cette Mme Dustmann qui vint à Biebrich parce que Wagner lui destine le rôle d’Isolde pour ses futures représentations de Vienne. C’est une fille agréable, qu’il a applaudie dans une pièce de Calderon. Elle a des amis à Mayence, en profite pour faire visite au compositeur célèbre et prendre sa part des réjouissances qu’il organise dans la région en l’honneur de sa clique d’artistes. Le malheur, c’est qu’elle a un protecteur sérieux en la personne de M. de Guaita, directeur du théâtre de Francfort. Or, si celui-ci n’est pas dangereux au sens amoureux du mot, il n’en est pas moins jaloux. Il s’agit de tromper sa surveillance et de préparer ensemble une évasion que Frédérique souhaite depuis longtemps. Elle et Richard décident donc de fuir ensemble à Vienne, à l’automne.

Ce ne sera là pourtant qu’une liaison éphémère et sans portée, car si Wagner est dans l’une de ses périodes excessives, où il lui faut à tout prix se distraire, il n’a soif pourtant que de fixité. Repos, calme, travail, sont les leitmotive de toutes ses lettres. Et d’autant plus qu’il a lui aussi entrevu l’oasis en vain cherchée dès les premières étapes de sa brûlante traversée. Au moment qui peut sembler le moins noble de son existence, ce moment presque désespéré où l’artiste déçu s’abandonne parce qu’il est las de soi-même et des autres, fatigué de ses idées ; où il ne sait plus si la valeur qu’il s’accorde a vraiment sa raison d’être et s’il n’y a pas.