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RICHARD WAGNER


dit-il, que le temps du dernier sommeil fût arrivé… J’ai perdu tout sentiment de ma personnalité, toute joie de vivre. Que peut-on entreprendre avec une piété impuissante ? » Et de tout cela, Cosima souffre. Elle en veut à son mari plus encore qu’à Wagner. Celui-là au moins, il est lui-même, cynique, d’une dureté de diamant. Un soir, il parle de ses projets futurs : Les Vainqueurs (voilà bien un titre qui lui convient) ; Parsifal, la dernière œuvre qu’il composera, son testament. Et Bülow, dans l’embrasure d’une fenêtre, murmure à Weisheimer : « Vous verrez, il atteindra son but, et ce Parsifal, il l’écrira… » Ils vont en excursion, grimpent sur le Drachenfels, toujours suspendus à la parole de « l’homme sans joie » dont la gaîté a quelque chose de strident qui vous atteint aux entrailles. Wagner chante lorsque Hans est au piano. Il chante Siegmund et les deux premiers actes de Siegfried (seuls achevés) où il prend le rôle de Mime. Il y est atroce, effrayant, merveilleux.

Un jour, le peintre Willich débarque de Rome, envoyé par les Wesendonk pour faire le portrait de Wagner. Pourquoi l’âme d’Isolde vient-elle rôder encore au pays des dieux de la Tétralogie ? C’est un malaise nouveau. Pourquoi Richard se soumet aux séances de pose et, comme autrefois à l’Asile, se fait faire la lecture. Seulement la lectrice n’est plus Mathilde, mais la jeune baronne de Bülow. Par hasard, dans ce même temps où tout paraît bizarrement concerté, Wagner reçoit de son graveur les Cinq Poèmes composés durant le pathétique été de la Colline Verte, et une soirée est arrangée chez l’éditeur Schott pour les entendre. Ce passé sans cesse renaissant de ses cendres, trouble toujours plus celle qui semble être dès maintenant une nouvelle envoûtée du Vénusberg.

Elle s’interroge. Est-elle heureuse ? Pourquoi donc s’est-elle mariée si jeune ? N’avait-ce pas été surtout pour plaire à son père ? Sa première jeunesse, confinée dans la salle d’études organisée à Paris par sa mère et ses institutrices, lui laissait un souvenir assez doux. On voyait peu de monde, on courait les musées, ces dames prudentes ayant établi autour d’elle et de sa sœur une ferme discipline. Un beau jour, après des années d’absence, leur père était revenu, amenant l’ami qu’il aimait, celui-là même dont on écoutait ce soir les musiques enveloppantes… Ne semblait-il pas qu’il fût déjà, il y a