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« LE MONDE ME DOIT CE DONT J’AI BESOIN »


à lui faire sentir qu’il préserve avec une émotion attendrie la mémoire de leur passé. Et il agite sa femme inutilement, lui donne à penser qu’il a besoin d’elle. Elle tombe donc de Dresde un matin. Wagner n’en est nullement fâché. Elle va l’aider à terminer son installation. La pauvre Minna a du reste meilleure mine, semble remplie de bonne volonté. Ne pouttait-on songer à la reprise de la vie commune, si elle se montrait sage, adoucie ? Son époux l’entoure d’une affectueuse attention et ils passent ensemble une bonne soirée. Une seule ! Car, par un hasard remarquable, le lendemain même de ce retour inattendu, le facteur remet à Richard, sous les yeux de Minna, une lettre de Mme Wesendonk, dont il n’avait pas eu de nouvelles depuis plusieurs semaines. Et le surlendemain arrive une petite caisse adressée de sa main, contenant dcs cadeaux de Noël et qui a été envoyée par erreur à Vienne, où elle est restée longtemps en souffrance… On dirait un fait exprès. La malheureuse Minna ne peut se contenir ; elle éclate, ressasse une fois de plus ses éternels griefs en termes que Richard ne saurait accepter.

Ah, terrible et pitoyable Minna, Richard lui-même voudrait la plaindre ! Mais ce mari si nerveusement sensible à tous les froissements physiques, aux gémissements des bêtes, aux tortures des fleurs coupées, dès qu’il s’agit de son épouse écorchée, il est sourd, sa raucune s’exaspère, il redevient inexorable. Rien ne pourra désormais les guérir de leur haine mutuelle. Car s’il est insupportable de se voir reprocher un sentiment dont l’énergie vous ravage, combien plus cruel n’est-ce pas d’avoir à le défendre lorsqu’il n’existe plus qu’à l’état de souvenir ! Nulle paix n’est possible entre ceux qui ont en vain sacrifié leur plus cher passé à une erreur. Chacun de ces deux époux a dévoré le bonheur de l’autre, et ils se regardent en face à présent, ayant sondé, dans ce bref et violent éclat, les diaboliques promesses de l’avenir.

« Dix journées infernales », telle est la peinture qu’en donne Wagner à Cornélius. Et cependant le jeune musicien Weisheimer, avec qui le compositeur s’est lié, le voit s’occuper de sa femme, commander à l’hôtel voisin ses plats favoris. Weisheimer les accampagne en promenade, assiste à la lecture du poëme des Maîtres Chanteurs. Pour l’occasion, Wagner a revêtu l’une de ses fameuses robes de