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RICHARD WAGNER


sède même le bel art du silence. Exactement ce qu’il lui faut pour composer l’atmosphère qui doit baigner de grâce la musique du vieux Nuremberg. Il n’aurait pu mieux tomber. Aussi s’éveille-t-il, le 22 mai, jour de son anniversaire, pour recevoir de beaux rosiers offerts par Mathilde et s’écrier : « Depuis ce matin, je sais que Les Maitres Chanteurs seront mon chef-d’œuvre. »

Pourtant, ce cœur si soigneusement transplanté, aurait-il laissé dans la vieille terre quelques racines ? Car, moins d’un mois plus tard, Wagner fait à Mathilde sa première déclaration. Déjà il la tutoie et ne saurait plus se passer d’elle. « Tout ce qui fait le prix d’un être te rend digne d’être aimée. Et j’aime ton être tout entier, ton aimable, et ferme, et accommodante nature. Tu es diverse, et toujours si sûre et si vraie, que je ne voudrais pas prendre seulement des parcelles de toi pour les faire miennes. Tu seras donc toute à moi, même si je ne dois jamais te posséder. Tu me seras une dernière source de la plus noble pureté. Et si tu deviens vraiment telle pour moi que je puisse parfaire en toi mon développement, alors tu ne regretteras pas de m’avoir rencontré sur ta route. Confions-nous à notre étoile, au destin, et travaille avec moi à ce qui est nôtre — pour notre vie intérieure. Seul le vulgaire est heureux ; ce qui est noble n’a de salut que dans la douleur ». Sans qu’il y songe, le vocabulaire d’autrefois lui revient sous la plume. Mais se souvient-il seulement qu’il a écrit naguère des mots tout pareils ? L’âme a pris des habitudes et le cœur, une fois pour toutes contaminé à sa source, ramène toujours dans son sang des fièvres identiques. Mathilde Maier, cependant, lutte avec l’énergie de la jeunesse contre la neurasthénie du Hollandais Volant. Elle n’a pas la vocation tragique. La santé est plus forte en elle non pas que l’amour, mais que le goût de la mort. Et c’est bien là ce que Wagner devine, ce qui l’attache à cette fille raisonnable et tout de même passionnée. Elle lui redonne juste ce dont il a besoin pour ranimer ses puissances et retrouver sa formidable énergie au moment où elle risquait de tarir. Toutefois, cette Eva éprise de son Hans Sachs n’est pas la seule femme qui veille sur le poëte.

Il y a d’abord Minna. Son mari a continué de lui écrire d’énormes lettres, cherchant à pacifier cette épouse irascible,