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« LE MONDE ME DOIT CE DONT J’AI BESOIN »


et inamortissable », voilà son état d’esprit. L’idée lui vient de s’établir près de Mayence » dans le voisinage de son nouvel éditeur. Schott, qui consent à lui faire de grosses avances d’argent sur les Maîtres et la Tétralogie (25.000 francs en quelques mois). Les bord du Rhin lui plaisent beaucoup du reste ; et ce printemps de 1862 est comme un renouveau plein de promesses. D’autant plus quc sa grâce est prononcée cette fois, pleine etl entière. Le roi de Saxe et ses bureaux se sont aperçus, après douze ans d’enquêtes, que Wagner est autre chose tout de même qu’un incendiaire.

La paix puissante du grand fleuve, la campagne, les promenades, le silence du cœur et l’activité tranquille de la nature, quels bienfaits ! Le musicien s’installe à Biebrich, dans la villa d’un architecte, où il sous-loue trois pièces dont l’une prend vue sur le Rhin, et il déballe une fois de plus ses caisses de meuble, ses tapis, sa bibliothèque. Les Schott le reçoivent, offrent les soirées en son honneur. Il donne lecture des Maîtres. On l’admire. On l’exalte. Il trouve chez ces bourgeois cossus tout un petit monde d’enthousiastes, quelques femmes agréables, quelques jeune filles. L’une d’entre elles a, paraît-il, connu un ami de Schopenhauer. Voilà qui est intéressant. Lors d’une réception chez les Schott, on place Wagner à côté de Mlle Mathilde Maier et il est tout de suite séduit par cette jolie fille de vingt-neuf ans, à l’allure franche. En quelques jours ils deviennent intimes.

Mathilde Maier est la fille aînée d’une veuve dont le mari a été notaire. Elle vit à Mayence avec sa mère, un frère et une sœur plus jeunes, deux tantes. L’air « douloureux » de Wagner l’attire. Et lui aussitôt se confie à ce cœur qu’il devine sympathique et sûr. Il rend visite à sa famille, demeure volontiers à bavarder chez elle, s’attache à cette jeune femme qui porte un nom bien-aimé. « Ah, enfant ! j’aurai bientôt cinquante ans ; l’amour à mon âge n’a plus qu’un besoin, celui de mon Hollandais Volant : le calme après la tempête. » Cela ne ressemble donc en rien à ce qu’il vécut sur la Colline Verte ; et pourtant ce commerce confiant a un charme qui le pénètre. Cette créature simple et à certains égards candide, le repose. La nouvelle Mathilde, de son côté, l’admire éperdument, vit dans sa dévotion, sans exigences, sans complications sentimentales, et libre de tout roi Marke… Elle pos-