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RICHARD WAGNER


jeunesse éternelle ne verdirait plus que dans les lauriers du poëte ». Quant à jouer les rois Marke, non, ce ne serait jamais là son rôle.

Sa pièce terminée, il voulut la porter à son ancienne hôtesse du jardin des cygnes noirs, Mme de Pourtalès, dont le mari était mort depuis peu. Malgré son grand deuil, elle reçut le musicien qui la lui lut le soir-même. Elle fut donc, raconte Wagner dans ses Mémoires, « la première personne qui entendit mon poëme achevé et l’impression qu’il nous produisit fut assez vive pour nous faire éclater de rire tous les deux à plusieurs reprises. »

Wagner n’a plus rien à faire à Paris maintenant et il cherche quelque lieu tranquille où travailler à sa musique dans un paysage entièrement nouveau. D’un établissement chez Minna, à Dresde, il ne pouvait être question, Richard lui envoyait des subsides prélevés sur ses gains ou ses emprunts. Il lui écrivait régulièrement et lui rappelait à l’occasion qu’il avait tout essayé afin de reprendre tant bien que mal la vie conjugale. Mais il semblait, hélas, qui même un simple armistice fût devenu — entre eux choce impossible. À chacun de leurs revoirs elle promettait de ne pas remuer le passé, de ne jamais prononcer le nom de Mathilde, d’accepter le silence comme une preuve — la plus douloureuse, certes — de leur maîtrise d’eux-mêmes. Mais ses bonnes résolutions, Minna ne les tenait jamais. Sa jalousie était devenue une maladie chronique qui empoisonnait l’organisme entier. Une allusion, un mot, une date évoquée faisaient éclater la crise. La pauvre inguérissable le savait et se résignait à cette séparation sans divorce. Elle avait fêté toute seule ses noces d’argent. « Le jour anniversaire de nos vingt-cinq ans de mariage, » écrivait-elle à sa confidente, « je reçus en présent de mon mari un bracelet en or et un congé d’un an. Dans un an, à ce qu’il dit, nous nous reverrons éventuellement à Munich ou sur les bords du Rhin… Si je pouvais effacer ces vingt-cinq années de ma vie, alors, peut-être, pourrais-je retrouver ma gaîté. Je resterai ici jusqu’en avril prochain. Où se poursuivra ensuite mon existence errante, les dieux seuls le savent ! Et tout cela, on le doit aux Tristans ! »

Il s’agissait bien de Tristan ! Le travail seul,… l’oubli… l’insouciance… ce que Wagner nomme « une moralité naïve