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« LE MONDE ME DOIT CE DONT J’AI BESOIN »


n’existe pas à travers ce qui est. Il est retourné à Paris, hôtel Voltaire, sur les quais, où il s’enferme pour écrire, face au Louvre et aux Tuileries, l’œuvre qu’il dédie aux artistes de Nuremberg. Et derechef tout coule de source, comme si la vieille blessure rouverte pendant quelques jours devait fournir éternellement du sang frais. C’est aux heures difficiles, une fois de plus, qu’il doit ses plus originales et vives inspirations.

Semaines bienfaisantes, convalescentes. Un labeur énorme, des promenades, des conversations avec le concierge et les garçons de café, voilà, écrit-il à Malwida, « mes quatre semaines les plus heureuses, la seule période où j’ai réellement existé. » Dans ce dur moment, l’un des plus solitaires de sa vie, la réaction lui dicte son œuvre la plus légère, la plus sereine. Jamais aucun de ses poèmes ne lui a donné autant de joie que Les Maîtres Chanteurs, cette série de tableaux gothiques nés de sa fantaisie au contact des styles français classiques. Et c’est en suivant les galeries du Palais-Royal pour aller dîner à la Taverne Anglaise, qu’il trouve tout à coup la mélodie des couplets de Hans Sachs sur la Réformation.

Ce personnage l’obsède ; il est cher à son cœur. C’est le Wotan des Maîtres, le poète de la vie bourgeoise, l’homme mûr, apaisé, qui jette sur son passé un regard sans amertume. Hans Sachs est le héros résigné dans lequel Wagner s’est dépeint. Il est « la paix du cœur dans le renoncement ». L’amour ne lui sera plus rien. Et, lui dédiant un dernier regret et comme une sorte d’adieu, Hans Sachs évoque pour Eva et Walter, le couple qu’il protège, la triste et exemplaire histoire de Tristan et d’Iseult.


Mon enfant,
De Tristan et d’Iseult
Je sais la triste histoire :
Hans Sachs fut sage de ne pas vouloir
Le bonheur du roi Marke…

De bonne foi sans doute, Wagner, proche de la cinquantaine, croyait passée la saison de Tristan et, comme le cordonnier de Nuremberg, s’imaginait que « la séduction de la