peau de pèlerin par-dessus l’orchestre vers les fauteuils,
comme il eût jeté son gant, en s’inclinant devant la loge de
Sa Majesté, il prononça quelques paroles qu’on n’entendit
point. Il y eut un instant de silence complet ; puis la tempête
se déchaîna de plus belle parce que les artistes et les musiciens
eurent la hardiesse de poursuivre leur tâche jusqu’au
bout. Sur quoi, Niemann se mit à chanter faux avec insistance.
Bülow en pleurait d’agacement. Kietz, à force d’injurier ces
intrépides siffleurs, avait perdu la voix. Minna tremblait de
peur. Wagner, lui, semblait garder son calme, mais ce qui
peut couver de haine au fond d’une âme mise à pareille
épreuve, on l’imagine sans peine. Il exigea que la troisième
soirée fût la dernière et qu’elle eût lieu un dimanche, en dehors
de l’abonnement. Or, de ces trois batailles, ce devait
être la plus violente. Les Jockeys y reparurent au complet,
munis cette fois de petits sifflets d’argent sur lesquels on
avait fait graver leur consigne : Pour Tannhaeuser. Partisans
et amis de l’auteur étant accourus en masse, la lutte fut
plus âpre, les interruptions plus véhémentes ». Mlle Sax et
Morelli (Wolfram) attendirent parfois dix minutes pour pouvoir
« enchaîner ». Wagner était resté chez lui buvant du thé
et fumant sa pipe. Il retira définitivement son drame dès le
lendemain. « Le vrai tragique pour moi, écrivait-il, c’est que
mes entreprises les plus audacieuses sont en même temps
mes moyens d’existence. »
Ces trois scandales coûtèrent à l’Opéca 250.000 francs. Wagner toucha ses tantièmes et en remit sa part au douanier Roche. L’année entière consacrée à ce début parisien lui rapporta, tous comptes faits, la somme de 750 francs. Mais il ne regretta rien, C’était tout de même, avec Rienzi, sa plus instructive, sa plus éclatante victoire. « Que Dieu me donne une pareille chute ! » s’était écrié Gounod. Berlioz se tut : quel signe ! Et Jules Janin, Erlanger, Catulle Mendès, le prince Edmond de Polignac, eurent à honneur de se déclarer les amis de ce blackboulé de l’opinion publique. On le nomma membre du Comité d’un grand cercle élégant, rival du Jockey. On se piqua de traiter en personnage international ce révolutionnaire dont l’esthétique, les échecs et la philosophie allaient régner demain, car la défaite seule agrandit nos limites. Certains amateurs se proposèrent même de fonder un Théâtre