vèrent. Dans la loge directoriale, Wagner se pencha nerveusement,
croyant à l’arrivée de l’Empereur et de la Cour. Ce
n’était point cela, mais l’opposition avait préparé en cet endroit
une manifestation de rires ! Quelques critiques (Wagner
les crut appostés là par Meyerbeer), le chef de claque et
ses acolytes, dont il avait, par point d’honneur, refusé les services,
donnaient le signal d’explosions d’hilarité savamment
réglées et qui dès lors ponctuèrent toute la pièce. On rit de
la célèbre ritournelle du hautbois ; on rit du chœur des pèlerins.
Appuyée au balcon de sa loge, la princesse de Metternich
brisa son éventail dans un geste de colère. Et le public,
agacé par ces interruptions trop visiblement concertées, menaça
un instant de soutenir l’auteur… On faillit se battre.
Durant le second acte, le calme se rétablit. Mais lors de la
rentrée de Niemann, au troisième, quelqu’un s’écria à haute
voix « Encore un pèlerin », et la salle énervée éclata de rire
tout entière. C’était la chute, la chute bête, sans raison, la
plus terrible. Et si, soixante ans plus tard, elle nous apparaît
glorieuse, alors elle ne sembla que ridicule. « Il fallait
presque n’être pas Français pour ne pas rire », dit un journaliste
le lendemain.
Ce qu’il fallait, surtout, c’était du courage pour maintenir à l’affiche la seconde représentation. Elle eut lieu pourtant le lundi suivant, 18 mars, jour de grand abonnement. Comme à la soirée précédente, le premier acte fut fort applaudi, le septuor final en particulier ; et déjà l’auteur et les artistes croyaient avoir eu raison des cabales lorsque, au deux, une bordée de sifflets éclata subitement. M. de Royer se tourna vers Wagner pour lui dire d’un air résigné : « Ce sont les Jockeys, nous sommes perdus ». Messieurs les membres du cercle le plus aristocratique de France s’étaient donné le mot pour prouver de cette manière leur attachement au ballet traditionnel, dont ils se trouvaient privés, et manifester en même temps leur goût pour la musique qui avait leurs préférences. Il y eut bien encore quelques protestations, quelques cris de « À la porte les Jockeys » ; mais l’empereur lui-même n’osa pas sévir contre ces « lions », qui appartenaient presque tous à la Maison Impériale. La représentation n’en continua pas moins sous les rafales. Interrompu par des hurlements dans son grand solo du troisième acte, Niemann jeta son cha-