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RICHARD WAGNER


partition, la remania, composa une Bacchanale à laquelle Nuitter adopta un dialogue nouveau entre Vénus et Tannhaeuser, si bien que Royer finit par l’accepter sous cette forme. Au surplus, ce directeur était un homme aimable, empressé, qui avait pour instructions précises de satisfaire à toutes les exigences du compositeur.

Jamais — hormis au temps de ses débuts à Dresde — il n’avait été si bien obéi, si intelligemment compris. On lui accorda pour le rôle de Tannhaeuser le chanteur Niemann, du Théâtre royal de Hanovre, qui fut engagé au prix fabuleux de 6.000 francs par mois et pour une durée d’un an. À la célèbre Mme Tedesco on confia le rôle de Vénus, et la jeune Marie Sax reçut celui d’Élisabeth. Quoique beaucoup moins bien partagé que ses interprètes (Wagner devait toucher 500 francs par représentation, à condition de céder la moitié de cette somme aux traducteurs durant les vingt premières), il vivait dans la surprise continuelle de la tournure que prenaient les événements, et soudain se sentait heureux, gâté, porté à l’indulgence. Jamais nulle part on n’avait tuoi parlé d’une œuvre musicale qu’on ne le faisait à Paris de son Tannhaeuser, et il pouvait se vanter d’y être aussi célèbre en 1860 qu’il y avait été obscur vingt ans auparavant. Il ne gardait donc pas rancune à « Babylonoe ». Pas même à Berlioz, concurrent malheureux, aigri, mal remarié, et qui n’avait pas trouvé auprès de son empereur l’appui qu’en recevait, de façon si complète et tellement inattendue, un étranger. Aussi lui écrivit-il spontanément, après un article de Berlioz sur Fidélio, pour lui dire sa joie, sa sympathie, son admiration. Il le traitait même de « cher maître », compliment unique ! « …Le fait d’avoir envoyé ces lignes au malheureux grand homme m’a réchauffé singulièrement le cœur, écrit-il à Liszt. L’article de Berlioz m’a fait voir nettement, une fois de plus, combien les malheureux sont seuls, que lui aussi est tendre et profondément sensible… L’homme richement doué ne peut trouver que dans un homme supérieur un ami qui le comprenne, et je suis arrivé à cette conclusion qu’aujourd’hui nous formons, toi, lui et moi, une triade exclusive de tout autre élément, parce que nous sommes tous les trois pareils. Mais il faut bien se garder de le lui dire : il se rebiffe dès