Page:Pourtalès - Wagner, histoire d'un artiste, 1948.pdf/277

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
259
« TANNHAEUSER » À PARIS


la princesse Pauline de Metternich-Sandor, femme de l’ambassadeur d’Autriche, le comte Albert de Pourtalès[1], alors ambassadeur de Prusse à Paris, et le comte Hatzfeld, son attaché. C’étaient là des appuis sérieux, tous trois étant particulièrement liés avec l’impératrice Eugénie. On parla donc de Wagner au Palais des Tuileries et M. de Royer, directeur du Grand Opéra, reçut l’ordre de faire représenter Tannhaeuser sur la scène de l’Académie Impériale de Musique. Fould, ministre du Palais, en paraissait fort mécontent ; mais Napoléon III n’en démordit point, ayant donné sa parole à la princesse Pauline. Wagner fut conduit auprès du comte Bacciochi, chambellan de Sa Majesté. qui lui demanda le sujet de la pièce. « Ah ! s’écria Bacciochi, le Pape ne vient pas en scène ? On m’avait dit que vous aviez fait paraître le Saint-Père, et ceci, vous comprenez, n’aurait pas pu passer. Du reste, Monsieur, on sait à présent que vous avez énormément de génie ; l’empereur a donné l’ordre de représenter votre opéra. »

Tout cela, brusquement, semblait tenir du rêve. Mais n’était-ce pas un malentendu ? C’en était un, car dès sa première entrevue avec M. Alphonse de Royer, celui-ci pria Wagner d’introduire un ballet au second acte de son opéra. Idée monstrueuse ! L’auteur offrit tout de suite de retirer la pièce. Au fond, il ne tenait déjà plus à cette aventure qu’il devinait vouée aux pires méprises. Cela avait été jusqu’ici pour lui surtout une question de prestige. Il se rendait compte maintenant que son instinct ne l’avait pas trompé et qu’on aboutirait à une impasse, Royer voulant plaire au public et Wagner servir l’art. Le directeur insista : il s’agissait avant tout de satisfaire les abonnés les plus fidèles et les plus exigeants de l’Opéra, messieurs les membres du Jockey-Club, qui voulaient voir danser leurs maîtresses… Wagner réfléchit. Peut-être pourrait-il étendre la scène du Vénusberg, au Ier acte… Mesure inutile, répliqua Royer, les « Jockeys » n’apparaissent jamais au théâtre que tard, et pour le 2e acte. Wagner refusa tout autre changement à son œuvre. Pourtant il reprit sa

  1. Albert de Pourtalès était le descendent d’une famille huguenote française, que la Révocation de l’Édit de Nantes avait exilée au début du xviiie siècle. Elle compte aujourd’hui encore trois branches : française, suisse et allemande.