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RICHARD WAGNER


en formules, en combinaisons » (Messager du Théâtre). « Un révolutionnaire, disait un autre, le Marat de la musique ! » Quant au célèbre Fétis, il allait écrire dans sa Biographie universelle des Musiciens : « Aujourd’hui la curiosité est satisfaite et l’indifférence est venue. Cette musique, qui devait être celle de l’avenir, est déjà celle du passé. » Toutefois les Parisiens, au dire de Bülow, s’étaient comportés envers Wagner avec plus d’intelligence, de courtoisie et de sens artistique que les Berlinois. Au second et au troisième concert, la salle resta presque vide ; on distribua en hâte des billets de faveur. Mais si l’hostilité de la presse amenait une défaite qui se soldait par un déficit de 11.000 francs, si Berlioz lâchait dans les Débats un article perfide sur la musique de son ancien ami, le parti pris, ainsi brutalement révélé, entraînait soudain vers Wagner, par contre-coup, un vif courant de sympathie. On ne comprenait pas encore très bien l’artiste, mais on le devinait, car comment eût-on du premier coup senti que son art était celui des transitions ? Et comment l’eût-on senti dans un programme compoeé de fragments ? « Cet arti-là est tout entier dépendant de la vie, écrit-il à Mathilde Wesendonk, mais justement mon œuvre à moi est de provoquer par ces transitions, par ces motivations nécessaires, un état réceptif du sentiment. » Qui pouvait saisir ces nuances ? Quelques artistes seuls, mais non pas le public. Car pour Wagner comme pour tant d’étrangers, la France n’était pas une terre de poëtes, mais un préau de rhéteurs, de grammairiens. Notre langue étant trop précise et comme fermée aux courants souterrains de l’instinct, la musique seule pouvait, sésame de l’inexprimé, ouvrir les cœurs français. Celle de Wagner réussirait-elle ce miracle ? Sa surprise fut grande de recevoir de Champfleury une brochure qui le vengeait. Plus vive encore lorsque Baudelaire lui adressa deux deux de ces lettres incisives et spontanées qui remboursent un artiste de toutes ses déceptions. Peu après, la belle Mme Kalergi, apprenant ses déboires, lui fit parvenir en toute simplicité la somme de dix millefrancs par l’entremise de Malwida, « persuadée que ceux qui s’occupent de Wagner ont plus à y gagner que lui-même ».

D’autres personnes encore se rallièrent peu à peu à la cause du musicien malmené, parmi lisquelles se trouvaient