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RICHARD WAGNER


serté. Il ne put s’empêcher de confier à Otto qu’il voulait tout envoyer promener pour retourner en Suisse. « Qu’on me laisse encore créer les œuvres que j’ai conçues là-bas, dans cette paisible et merveilleuse Suisse… Œuvres de miracle et que je n’aurais pu concevoir nulle part ailleurs… »

Enfin, un jour, Minna revint de Dresde, où elle avait vécu des subsides irréguliers que lui envoyait son mari — et plus encore, assurément, de la protectuonamicale et fidèle du docteur Pusinelli. Minna ! La séparation » éternelle » avait duré quinze mois… Mais cela aussi importait peu, maintenant que la « mort d’amour » était consommée. Et il devait bien cette compensation à sa vieille compagne usée. « Tu seras maîtresse de maison, tu tiendras la caisse, tout marchera selon tes souhaits ; mais il ne faut pas que tu travaillel toi-même ; on t’aidera. » En dehors du valet de chambre et de la cuisinière, il engagea donc une garde-malade pour soigner sa femme et lui tenir compagnie. Et une sorte de compagnonnage reprit à la rue Newton, comme à l’Asile, Richard habitant un étage de sa maison, Minna un autre, le salon commun se trouvant à tout instant peuplé de gens que la pauvre femme fuyait parce qu’elle ne les comprenait pas ou qu’ils lui faisaient peur. Mais Wagner, lui, se mouvait à l’aise dans ce monde bariolé.

Il institua des « mercredis » où l’on vit les Ollivier, Baudelaire, Malwida, Champfleury, Gounod, Nuitter, la comtesse Kalergi, Berlioz, Frédéric Villot le conservateur des musées du Louvre, Gustave Doré le peintre, qui dessina Wagner conduisant un orchestre de spectres, Jules Ferry et le baron Erlanger. Au milieu de tous ces gens, Minna demeurait jalouse et effacée. Son mari se montrait amical envers elle, prévenant, mais se gardait de toute intimité[1]. Il ne lui confiait rien et elle ne l’interrogeait. même plus. Elle assurait le gouvernement des trois domestiques, avec lesquels elle se disputait ; elle commandait le menu, se promenait seule ou avec Kietz, revenu lui

  1. Dans sa lettre du 3 octobre 1859 au docteur Pusinelli, peu avant le départ de Minna pour Paris, Wagner priait instamment son ami de dissuader celle-ci de chercher à reprendre avec son mari toutes relations sexuelles. « Je considère qu’il est important, du point de vue médical, de lui imposer à ce sujet la diète la plus stricte, eu egard à l’état d’irresponsabilité d’une personne mentalement aussi éprouvée qu’elle… » (Lettres à Pusinelli. Knopf. New-York, p. 107).