Page:Pourtalès - Wagner, histoire d'un artiste, 1948.pdf/271

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

CHAPITRE VI

TANNHAEUSER À PARIS — LA MORT DE TRISTAN


Wagner, en 1859, ignorait qu’il eût à Paris des amis de sa musique. Et cela est explicable puisqu’on n’y avait représenté aucun de ses opéras. Il connaissait mal la France, encore plus mal les Français. Et surtout il n’avait point rencontré dans cette ville ces grands élans de sympathie populaire, ni — en dehors de quelques compatriotes aujourd’hui dispersés — aucune de ces amitiés sérieuses qui attachent un artiste au climat où s’est épanoui le meilleur et le plus durable de lui-même. Pourtant, sans qu’il le sût le rayonnement secret de son œuvre s’était étendu à la capitale en apparence frivole de l’Empire français, en réalité la seule ville du monde où l’art fût autre chose qu’un passe-temps, intéressât les vertus mêmes de la race et remuât les imaginations jusqu’à traduire en forces et en passions les plus subtiles spéculations de l’esprit. Wagner croyait n’être revenu à Paris que pour y entendre parfois un bon orchestre et s’y retremper dans le commerce suivi avec les vivants organismes de son art. En vérité, c’était bien autre chose. « On vient aux grands centres » observe Paul Valéry[1] « pour avancer, pour triompher, pour s’élever ; pour jouir, pour s’y consumer ; pour s’y fondre et s’y métamorphoser ; et en somme pour jouer, pour se trouver à la portée du plus

  1. Paul Valéry : Regards sur le monde actuel.