Page:Pourtalès - Wagner, histoire d'un artiste, 1948.pdf/26

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
8
RICHARD WAGNER


pression mouvementée, et passant avec la plus grande facilité de la gaîté comique au tragique sombre. On lui faisait jouer à volonté Don Carlos, Hamlet ou Piccolomini. Et comme l’aventure et les voyages ne lui déplaisaient pas, il accepta de longs engagements sur les théâtres d’Allemagne, à Stettin, à Magdebourg, à Breslau, pour revenir passer les vacances en pays saxon. Retrouver Leipzig, c’était chaque fois retrouver ses amis Wagner et leur appartement sur le Brühl. C’était revoir Johanna, si alerte malgré ses couches successives ; reprendre ses entretiens sur le théâtre et la poésie avec le greffier, devenu, sous l’occupation étrangère, une sorte de personnage. Grâce à sa connaissance du fran­çais, Frédéric Wagner assumait en effet, par ordre du commandant de la place, le Maréchal Davoust, un poste de confiance à la police de sûreté.

Tout avait été pour le mieux pendant longtemps. Geyer, à chaque séjour, montait les degrés du logement de ses amis, s’amusait avec les enfants, s’occupait à peindre à l’huile la plaisante Mme Wagner. Et, le soir venu, si le théâtre faisait relâche, on se mettait en frais de poésie et de littérature. Adolphe Wagner, un frère du greffier, apparaissait parfois et donnait alors à la réunion une couleur plus savante, car cet Adolphe était une manière de petite célébrité locale. D’abord et avant tout, il avait connu Schiller personnellement, titre magnifique au respect de tous. Comme étudiant, à léun. en 1798, il avait été le voir et, à sa grande confusion, s’entendit décerner par l’homme que la jeune Allemagne révérait, des compliments sur de mauvais vers qu’il avait faits et qu’un camarade bien intentionné avait eu la naïveté d’adresser à l’auteur des Brigands. Mais nonobstant le ridicule, une telle heure, si éminemment honorable, demeurait en auréole sur le front de « l'oncle Adolphe », ainsi qu’on l’appelait. Puis il avait été aussi l’ami et le correspondant de Jean-Paul, l’écrivain que l’Allemagne d’avant Goethe et Schiller admirait le plus. Enfin, il était philologue, essayiste, critique. Il avait publié des traductions d’Euripide, un ouvrage sur Les deux époques de la poésie moderne représentées par Dante, Pétrarque, Boccace, Gœthe, Schiller et Wieland. Mieux encore, il était l’auteur de quatre comédies et d’un essai qui touchait plus directement la manie de ces