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LA MORT D’ISOLDE


agréable — elle flatte mes espérances. Oui, j’espère guérir pour toi. Me conserver pour toi signifie me consacrer à mon art. Devenir ta consolation par mon art, telle est ma tâche ; elle convient à ma nature, à ma destinée, à ma volonté, à mon amour. De cette manière, je reste tien. Et toi aussi, tu guériras par moi. Ici j’achèverai Tristan, en dépit des fureurs du monde, et je reviendrai avec Tristan pour te voir, te rendre la paix, le bonheur. Voilà ce qui est devant moi comme la plus belle et la plus sainte espérance. Héroïque Tristan, héroïque Isolde, aidez-moi, aidez mon ange ! Saignez ici de toutes vos plaies ; vos blessures guériront et se fermeront. C’est d’ici que le monde apprendra la sublime détresse du plus haut amour, les plaintes du plus douloureux ravissement…

7 septembre. — Mme Wille m’a écrit aujourd’hui. Ce sont les premières nouvelles que j’ai reçues de loi. Tu es, paraît-il, calme, résignée et résolue dans ton renoncement. Parents, enfants, devoirs… Combien ces mots résonnèrent étrangement à mon âme dans la « Stimmung » sérieuse et légère, en quelque sorte sacrée, où elle se trouvait ! Lorsque je pensais à toi, parents, enfants ou devoirs ne me venaient point à l’esprit. Je savais seulement que tu m’aimais et que tout ce qui est élevé et supérieur dans le monde devait être malheureux. Soudain, je t’aperçois dans ta magnifique maison, j’entends et je vois ceux à qui nous devons demeurer toujours incompréhensibles, ceux qui, bien qu’étrangers, sont nos proches, et qui écartentt craintivement de nous ce qui justement nous unit. Et la colère me prend de devoir dire : à ceux-là qui ne savent rien de toi, ne comprennent rien à toi, mais exigent tout de toi, à ceux-là tu dois tout sacrifier ! Je ne puis supporter de voir et d’entendre cela, si je veux achever dignement ma tâche terrestre. C’est dans le plus profond de mon être intime seulement que je trouverai la force nécessaire ; car, de l’extérieur, tout m’emplit d’amertume et paralyse mes résolutions. Tu espères me voir pendant quelques heures cet hiver à Rome ? J’ai peur… de ne le pas pouvoir. Te voir, et ensuite t’abandonner au contentement satisfait d’un autre, en suis-je déjà capable ? Non, assurément pas. Et tu ne veux pas non plus de lettres ?… J’espère pourtant…

13 septembre. — J’étais si triste que je n’ai même rien pu confier à ce journal. Alors est vcuue, aujourd’hui, ta lettre…