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RICHARD WAGNER


grand mouvement de curiosité autour de leurs personnes, ces réunions avaient quelque chose de gêné et de tendu, à cause de l’agitation qu’on lisait sur les visages de Richard et de sa femme. Au milieu de cettle fièvre musicale, le dénouement de la crise approchait.

En revenant de Brestenberg déjà, Minna avait trouvé moyen de créer un incident nouveau, à la fois pénible et comique, dont les conséquences devaient se faire sentir dès que tous ces hôtes de passage seraient repartis. Ils s’en allèrent tour à tour ; les Bülow en dernier. Hans était en larmes et Cosima gardait un sombre silence. Aussitôt après, le drame éclata. Car Minna s’imaginait maintenant avec naïveté que, l’aventure de son mari étant grâce à elle arrivée à son terme, l’existence reprendrait comme avant, rose inclinée, mais débarrassée de son épine. Le jardinier-domestique ayant échafaudé pour son retour, à la mode helvétique, un arc de triomphe fleuri sur la porte de la maison, face à la villa Wesendonk, elle voulut que ce symbole demeurât en place comme témoignage de sa victoire. Mathilde, naturellement, y vit un défi. Elle exigea, cette fois, le départ de l’épouse. Minna s’y refusa. Richard chercha à l’y contraindre, et comme elle était la plus faible il fallut bien céder… L’Asile l’effondrait donc pour tout de bon, et ce qui restait d’attaches à ce ménage ruiné se rompit sous la secousse.

« Cette femme est furieuse, hors d’elle », écrivit Mme Wagner à l’une de ses amies, « et sa jalousie ne tolère plus que je vive ici. Richard seul y doit demeurée, ce qu’il ne peut pas faire. Il a deux sœurs ; envoûté d’une part, il tient encore à moi de l’autre, par habitude, voilà tout. Puisque cette femme ne veut pas supporter que je reste avec mon mari et qu’il est assez faible pour obéir à sa volonté, j’ai résolu d’habiter à tour de rôle Dresde, Berlin et Weimar, jusqu’à ce que le Bon Dieu ou Richard me rappellent à eux… Je m’occuperai de la vente des meubles et du déménagement. Richard s’en ira le premier, je ne sais pas encore où, peut-être en Italie. Je ne lui parle en aucune façon de toute cette affaire, et nous demeurons apparemment bien ensemble. Il souffre par moments, mais non par moi ; et moi je ne souffre que par lui. Je hais ce monde, où la faiblesse des hommes leur donne tant de tourments. »