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LA COLLINE DU BONHEUR


ce repos que mon Hollandais, lui aussi, invoquait il y a bien des années. Cette nostalgie n’est pas celle des jouissances voluptueuses de l’amour, mais celle de la « patrie intérieure ». Une femme bien-aimée et fidèle pouvait seule la lui procurer. Dédions-nous aussi à cettle belle fin, qui apaisera et comblera tous nos désirs. Mourons à nous-mêmes, bienheureux, transfigurés, avec le sourire de la fortitude, de sorte que personne ne soit vaincu si c’est nous qui sommes victorieux. »

Était-ce un adieu définitif ? Nullement. Ils s’aimaient trop pour se perdre. Mais les réalités pratiques de leur liaison étaient devenues pour longtemps impossibles. Il fallait calmer Otto, calmer Minna, rendre cette paix qu’il se souhaitait si fort à ceux-là mêmes dont il troublait si gravement la vie, s’éloigner, reprendre quelque route d’exil, redevenir une fois de plus le maudit qui, sans doute, ne rencontrerait jamais la femme capable de tout quitter pour le suivre et le délivrer de lui-même. « Il apporte partout avec lui la révolution », disait Mathilde. C’est pourquoi elle l’avait aimé. C’est aussi pourquoi il devait fuir. Même pour Minna, cette fuite serait une délivrance. Écrivant à Liszt, Richard lui confie la grave maladie de cœur dont sa femme est affligée ; et cet égoïste célèbre ajoute : « Cette situation me crée de nouveaux devoirs qui me forcent à reléguer mes propres souffrances au dernier plan. »

Quelques visiles vinrent faire diversion : les chanteurs Tichatschek et Neumann, l’extraordinaire pianiste Tausig, qui enchanta Wagner. C’était un frêle jeune homme da seize ans, glabre, fou comme un gamin, sage comme un vieillard, et qui fumait des cigares énormes. Sa virtuosité avait quelque chose d’effrayant. Il s’en donna à cœur joie sur le grand Érard neuf. On lui fit lire Schopenhauer, et il arrangea pour le piano les deux premiers actes de Siegfried de manière surprenante. Minna revint aussi, non pas guérie, mais sa santé s’était améliorée notablement. Puis les Wesendonk rentrèrent chez eux. Peu de temps après, les Bülow reparurent avec leur mère, la comtesse d’Agoult, venue à Zurich, disait-elle, « pour faire la connaissance des grands hommes ». Comme elle ressemblait à Liszt, son amant d’autrefois ! Siegmund et Sieglinde… Klindworth débarqua de Londres. On chanta La Walkyrie, L’Or du Rhin. Mais malgré ce