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LA COLLINE DU BONHEUR


tentement semblable. Il i’interroge, et l’explication s’ensuit, violente, confuse, chacun des deux époux cachant qu’il a été trahi et cherchant à voir, au delà de ces minutes douloureusest, jusqu’où s’étendront les conséquences de cet éclat. Les suites en seront funestes, déclare Wagner. Minna devra les supporter en renonçant désormais à leur refuge. En attendant, elle partira tout de suite faire une cure de repos que l’état de son cœur et de ses nerfs nécessite, au surplus, de manière urgente.

Mais Minna accepte volontliers ce verdict. Car la bataille est gagnée, elle le sait. Tant pis s’il la faut payer cher. L’orgueil est sauf et, chez les femmes, tel est l’honneur. Ce n’était pas de Richard qu’il fallait triompher, mais de Mathilde. Elle peut quitter la place à présent, puisque le charme est rompu, et détruit le cercle enchanté où vivaient ces amants aveugles à tout ce qui n’était pas eux-mêmes.

Elle avait visé juste. Mathilde ressentit profondément l’injure. Non seulement elle avait été blessée par l’incartade de cette petite bourgeoise commune, mais elle se trouvait froissée que Wagner n’eût pas su, par son autorité ou sa franchise, lui épargner cet affront. Et Otto profita de la circonstance pour emmener sa femme faire un voyage d’un mois en Piémont. Mais juste avant leur départ, le grandl piauo Érard arriva à l’Asile. Ce fut un instant de répit au profond le la crise. Wagner l’installa chez lui, ouvrit sa fenêtre, et Mathilde, penchée à la terrasse de la salle le billard, écouta le loin les accords fameux que son amant venait à l’instant de trouver. C’étaient ceux de la scène nocturne du second acte de Tristan. La jeune femme emporta le souvenir du chant merveilleux, le chant du « cygne », car c’est ainsi que Wagner baptisa le piano d’ébène qui pleura sous ses doigta son amour assassiné.

Minnia commença aussitôt sa cure à Brestenberg, et son état de santé devint bientôt à tel point alarmant que Wagner put redouter chaque jour d’apprendre sa mort. Il était resté seul sur la « Colline verte ». Il se promenait, travaillait[1],

  1. Il s’était mis à l’ébauche du 2e acte de Tristan, le 4 mai 1858 et avait inscrit en tête de son manuscrit : « Encore à l’Asile. » (Manuscrits de Wahnfried.)