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CHAPITRE IV

LA COLLINE DU BONHEUR


Entre les quatre malheureux qui habitent maintenant la colline du bonheur, le secret est bien gardé. Rien ne trahit le drame qui se joue au fond des cœurs, dans ce décor d’estampe ancienne. Un grand artiste travaille devant la fenêtre ouverte sur un paysage d’Aberli, tandis que sa femme l’écoute marcher au-dessus de sa tête, épie chacun de ses mouvements, suppute la plus fugitive de ses intentions. Que fait-il ? Qu’écrit-il ? Qu’a-t-il inventé pour mieux détruire leur triste passé et l’enfouir sous ces roses poétiques dont il compose, pour « l’autre », les vénéneux bouquets ? Il y a longtemps qu’elle a deviné ce qui se prépare entre eux et qu’elle avait déjà tant redouté de Mme Schrœder, de Mme Pollert, de Mme Heim, de Jessie Laussot, de ces actrices ambitieuses ou de ces femmes sans morale qui cherchèrent à lui voler son bien. Mais la fatalité, cette fois, a organisé les choses mieux qu’une agence louche.

Dans la villa éclatante du côté opposé de la route, une jeune femme attend l’heure où son ami viendra lui lire un nouveau fragment de leur histoire. Sous le front serré et volontaires, ses menaces de tout à l’heure à son mari s’entendent encore, froides, calmes, indiscutables. Et Otto, comme chaque jour, est parti pour son bureau avec le petit couteau de sa femme planté dans la poitrine, enfoncé quotidiennement un peu plus loin sans que jamais on lui concède le droit de montrer sa plaie. Il doit endurer et se taire afin que nulle ombre ne vienne inquiéter celui dont l’existence ne fut qu’une longue douleur. Car il n’y a pas de lâcheté dans l’âme de cette amoureuse sans mensonge. Une loyauté terrible, au contraire, et cette méchanceté ineffable qui préfère la vérité meurtrière