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RICHARD WAGNER


huit, qu’importe ! Ils ont tout à apprendre l’un et l’autre, l’un de l’autre… L’avenir ne commence que demain. Avec l’amour, la vie est enfin sortie de son tombeau.


Le vendredi saint de l’année 1857, Wagner monte jusqu’à la vieille maison en partie rebâtie aux frais de Wesendonk, et qu’il a nommée L’Asile. C’est un de ces clairs matins suisses où la pureté de l’air vibre sur le monde comme la musique d’une cloche. Dans quelques jours tout sera prêt pour un définitif emménagement. Mais Wagner désire, en cette journée de la Passion du Christ, jeter sur son nouvel univers un regard amical. Debout devant son refuge, il entend une voix intérieure lointaine, irréellement lointaine, une voix qui vient de la patrie de son Lohengrin, ce burg du Saint-Graal dont il a lu autrefois, dans les forêls de la Bohême, l’histoire mystique. Et cette voix lui dit : « Tu ne porteras point d’armes au jour où le Sauveur est mort sur la Croix. »

Que le ciel soit vide, il n’en saurait douter : car l’amour et la vérité n’ont d’autre expression divine que la poésie. Et dans son cœur incrédule il n’y a de dieux que trois vivants : Schopenhauer, Liszt et Mathilde. Mais s’il convient de désarmer aujourd’hui devant le Crucifié juif, que ses blessures enseignent du moins aux hommes, à défaut d’une espérance illusoire, le doux miracle de la pitié.

En ce vendredi-saint, sur les primevères encore glacées, Wagner esquisse à grands traits son Parsifal.