jour que la parcelle qui touche son habitation future vient
d’être acquise par un médecin, lequel projette d’y installer
un asile de fous. Il faut à tout prix empêcher un voisinage
si déplaisant. Wesendonk rachète donc en sous-main, à un
prix élevé, la petite maison que sépare de la sienne un chemin
vicinal, et il l’offre « à vie » à son ami Richard, moyennant
un loyer annuel de huit cents francs.
Wagner est justement au piano, en train de composer, lorsqu’on lui remet la lettre renfermant cette nouvelle. Il en est arrivé à la scène où Siegfried arrache son fer des mains de Mime pour le mettre lui-même au feu.
L’acier du père doit m’obéir :
Moi-même je forgerai la lame.
Quel amollissement subit dans son âme au moment de cette interruption, tandis qu’il chantonne à mi-voix l’air triomphal de Notung ! Voici la lame forgée…
Souffle, soufflet, souffle le feu !
Forge, marteau, un solide fer !
« Voulez-vous savoir comment j’appris aujourd’hui la nouvelle inattendue ? Une profonde, profonde paix descendit en moi. Je fus saisi, jusqu’au fond de mon être, d’une chaleur bienfaisante, sans nul trouble. Rien qu’une lumière toute claire… Je vis le monde transfiguré devant moi, puis des larmes vinrent briser cette image en mille fragments merveilleux. Ami, je n’ai jamais rien vécu de semblable. Je ne chancelle plus ; je sais où je vais, où j’appartiens, où je travaillerai, où je puiserai mes forces et mon repos… »
Comment n’eût-il pas deviné, derrière cette feuille qui tremble dans sa main, le regard de Mathilde ? Celle qui, depuis tant de mois, occupe sa pensée, affirme maintenant sa présence réelle. Elle entre vaillamment dans sa vie. La « page blanche » qu’il se proposait de remplir, n’est-ce pas à présent seulement qu’elle commence de s’écrire ? Et c’est elle qui l’entame… Ah ! que de jeunesse, de pouvoir en lui, malgré ses cheveux gris ! Quel savoir-faire, quelle tendre obstination chez cette Mathilde si jeune ! Quarante-quatre ans ou vingt-
