Page:Pourtalès - Wagner, histoire d'un artiste, 1948.pdf/236

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
218
RICHARD WAGNER


coups. Prenez garde de n’en pas recevoir à votre tour en surplus du compte… »

Mais cette rentrée joyeuse à son foyer, la voici tout à fait assombrie. Peps, le compagnon fidèle qui ne l’a pas quitté depuis le temps de Rienzi, meurt entre ses bras. Chagrin violent et preuve évidente que le monde n’est qu’une représentation du cœur, ainsi que l’affirme Schopenhauer. Mauvais été, mauvais automne. Cure d’eau ou Seelisberg, car à sa maladie nerveuse s’ajoute un eczéma du visage, suite des tracasseries de Londres. Pourtant, il continue tant bien que mal le travail d’instrumentation de La Walkyrie, « l’œuvre la plus tragique qu’il ait jamais conçue » ; et, le 3 octobre (1855), il peut enfin envoyer à Liszt ses deux premiers actes complets. Il faut que l’ami vienne bientôt pour les chanter et les jouer avec lui. Mais Liszt ne vient pas. La princesse et son divorce toujours remis, le théâtre, le grand-duc de Weimar le retienneut, et il ne peut qu’écrire : « Une merveille. Tu es vraiment un homme divin… Œuvre admirable, colossale, avec son rythme des cors en ré. Je la lis tout palpitant d’émotion. » Et, en janvier de la nouvelle année (1856), il télégraphie de Berlin : « Hier, Tannhaeuser. Représentation excellente. Mise en scène splendide. Franc succès. Félicitations. » Johanna Wagner chantait le rôle d’Élisabeth, et elle a été, au dire de Liszt, admirable. Voilà, du moins, une compensation et des tantièmes en perspective.

Comme ils ne vieuueut pas vite et qu’au traitement médical nouveau pour ce maudit eczéma est devenu indispensable, à qui demander des subsides, sinon à Liszt ? « La vie est fort chère ici ; je n’arrive pas à me tirer d’affaire, avec les ressources dont je dispose. Si je n’avais pas ma femme, je vous ferais voir quelque chose de curieux : je serais fier d’aller mendier de porte en porte… » Quelle combinaison inventer ? Une société de bienfaiteurs ? Hypothéquer la Tétralogie ? Demander des secaurs nouveaux à ses vieux amis et créanciers de Dresde ? Le plus simple, le plus sûr, n’est-ce pas encore et toujours Liszt ? Et Liszt le sait comme lui. Quoique ses Poèmes symphoniques ne lui rapportent pas un sou de droits d’auteur, quoique l’entretien de sa mère et de ses filles à Paris absorbe toutes ses économies, il promet mille francs. Et Wagner les accepte parce que l’amour accepte tout. Il accepte