Mais, bien qu’attirés l’un vers l’autre, ils ne se comprennent
guère. « Nous allons boire du punch chez Wagner après le
dernier concert », raconte Berlioz. « Il m’embrasse avec fureur,
disant qu’il avait eu sur moi une foule de préjugés, il
pleure, il trépigne… Il conduit en style libre… mais il est très
attachant par ses idées et sa conversation. » (Il ne dit pas :
par sa musique.) « Wagner a quelque chose de singulièrement
attractif pour moi, il est superbe d’ardeur, de chaleur de
cœur, et j’avoue que ses violences mêmes me transportent. »
Et Wagner raconte de son côté à Liszt qu’il a conçu pour
Berlioz une amitié toute nouvelle. « J’emporte de cette rencontre
une profonde sympathie pour mon nouvel ami ; il se
révéla à moi sous un jour tout différent… Chacun reconuut
soudain dans l’autre un compagnon d’infortune et je me
trouvai plus heureux que Berlioz. » Cortes, Berlioz est moins
heureux que lui : mal remarié, incompris, seul, et plut pauvre
encore que Wagner ! « Je m’aperçus de sa fatigue et de
son désespoir, et j’éprouvai la plus profonde pitié pour cet
artisle si supérieur à ses rivaux. » Tant de fois on a parlé
d’une prétendue jalousie de Wagner envers Berlioz, qu’il est
équitable de remettre ici les choses au point. Ajoutons que
pendant des mois il demanda à Liszt ou à l’auteur des
Troyens de lui envoyer ses partitions ; et s’il ne les reçut
point, ce ne fut pas de sa faute.
Au dernier de ces huit concerts, le public témoigne vivement à Wagner sa gratitude. L’orchestre se lève tout entier pour l’applaudir ; lea mains des auditeurs assis au premier rang se tendent. Il les serre. C’est le seul instant d’émotion durant ces quatre mois de « travaux forcés ». Aussi se libère-t-il de ce qu’il nomme son « martyre » avec une joie exubérante pour rentrer à Zurich, retrouver l’été, ses manuscrits, et jouir un peu de sa « musique anglaise », c’est-à-dire de la petite affaire commerciale qu’il a faite. Bien petite, hélas ! Mais chacun sait qu’il est sur cette terre non pour gagner de l’argent, mais pour créer ». Et qu’il le puisse en paix, ne le lui doit-on pas ? Jamais il n’a eu plus conscience de sa force. Entre le monde et lui, c’est une lutte de deux mauvaises têtes, et la plus dure des deux enfoncera l’autre, comme il l’écrit à Otto Wesendonk. « Vous, cher ami, vous avez placé entre elles votre bonne volonté, sans doute pour amortir les