Page:Pourtalès - Wagner, histoire d'un artiste, 1948.pdf/234

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
216
RICHARD WAGNER


longue date. Le premier de ces fidèles et Klindworth, un élève de Franz, qui court les cachets et gagne durement son pain « dans les déserts de la vie anglaise ». Comme Wagner vient précisément d’achever dans sa chambre l’instrumentation du premier acte de La Walkyrie, il s’accorde deux jours de repos et invite à dîner le jeune disciple de son ami. Au sortir de table, Klindworth se met au piano et attaque l’œuvre récente de son maître, la Sonate en si mineur, la plus éclatante expression musicale de l’âme solaire de Liszt. Or, tout le Wagner de demain est dans ces pages grandioses remplies — comme celles de la Faust-Symphonie — d’innovations phonesthétiques d’où vont naître les harmonies de Tristan et celles du Crépuscule. Aussi Wagner écrit-il sur l’instant même : « Très cher Franz, je t’ai senti près de moi. La Sonate est belle au delà de toute expression, grande, gracieuse, profonde, noble, sublime comme tu l’es. J’en suis remué jusqu’au fond de mon être, et toutes mes misères de Londres sont oubliées d’un coup. »

L’autre future amie qui, durant cas concerts da Londres écoute avec ferveur l’auteur d’Art et Révolution, est une jeune fille, Malwida de Meysenbug, bien qu’appartenant à la petite noblesse allemande où son père était petit ministre d’une petite cour, avait été touchée par le mouvement humanitaire et socialiste de 1848. Elle s’était jointe aux jeunesses communistes de Hambourg, avait dirigé une école « rationaliste », connaissait Mazzini, Louis Blanc, et se dévouait aux enfants du révolutionnaire russe Alexandre de Herzen, qui vivait à Londres, comme tant d’autres proscrits politiques. Malwida faisait profession d’idéalisme, enseignait l’émancipation de la femme et s’attachait volontiers aux hommes illustres. Des amis communs l’invitèrent à dîner chez eux avec Wagner, lequel, toutefois, se montra réservé et ne parla que de Schopenhauer. Mais, fidèle à son optimisme, « l’idéaliste » ne douta point qu’elle le convaincrait quelque jour de la valeur de son amitié. Et elle le convainquit, en effet, de la sincérité d’un attachement qui devait durer tout le reste de sa vie. Quant au confrère, c’est Berlioz, venu lui aussi diriger les concerts de la « New Philharmonie », une société concurrente. Les deux compositeurs se retrouvent avec un certain plaisir à de petits dîners organisés par le précieux Sainton.