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LA FORGE DE L’« ANNEAU »


kapellmeister tatillon. On ne les prend pas au sérieux. Ces messieurs ne connaissant que le « mezzoforte » ; ni « piano », ni « fortissimo », et les finales sont toujours emportée » au galop. C’est à Londres la même histoire qu’à Paris, qu’à Berlin et dans tous les théâtres du monde. Aussi Wagner renonce-t-il à l’idée de voir jamais représenter convenablement ses œuvres. « Ce que je crée ne verra jamais le jour », écrit-il à Liszt. « Si je meurs sans avoir fait exécuter mes œuvres, je te les léguerai ; et si tu meurs sans avoir pu les faire donner d’une manière digne d’elles, tu les brûleras. Que ce soit là chose décidée. »

Heureusement, il se trouve dans cet orchestre un jeune premier violon toulousain nommé Sainton, qui se prend pour Wagner d’une admiration passionnée et communique son feu à l’orchestre. Grâce à lui, l’état d’esprit se modifie, on répète consciencieusement et bientôt ces bonnes mécaniques découvrent qu’il y a dans Beethoven une grande âme et dans Wagner un fameux tempérament. Le premier concert est bien accueilli du public, malgré une critique franchement hostile. (Peut-être parce que Davidson, l’arbitre le plus influent ne lui pardonne pas son libelle contre les Juifs.) Le second, qui comprend la Symphonie avec chœur est une révélation. On ne peut reprocher à cette exécution magnifique qu’une chose : c’est que M. Wagner l’ait dirigée par cœur… Cela ôte du sérieux à la grande musique. Telle est l’opinion des journaux. Wagner veut tout lâcher et repartir. On le supplie ; il reste, et conduit désormais les ouvrages classiques avec une partition ouverte sur son pupître sur son pupitre. Mais il oublie d’en tourner les pages et les auditeurs munis de lorgnettes s’aperçoivent avec horreur que le texte a la tête à l’envers. L’ouverture de Tannhaeuser n’en a pas moins un tel succès que la reine Victoria et le prince Albert demandent qu’on le répète au septième concert, où tous deux félicitent le compositeur.

Mais si ces quatre mois londoniens se résument pour Wagner en une insupportable contrainte, du moins trouve-t-il quelques lectures qui le transportent ; entre autres deux légendes hindoues, Sawitri « qui est divin » et Usinar, « c’est toute ma religion ». Puis il se fait des amis nouveaux qu’il gardera toute sa vie, et retrouve un confrère qu’il connaît de