et d’insaisissable. L’Anneau du Nibelung s’éclairee brusquement
jusque dans ses opacités composites, jusque dans ses
rouages secondaires et pourtant combinés selon d’impérieuses
exigences. « Je n’eux la réelle intelligence de mon Wotan
qu’à ce moment-là. » Il avait cru faire une œuvre optimiste et
révolutionnaire : c’est au contraire une œuvre pessimiste
qui est née malgré lui de sa double vue. L’Anneau n’est pas
une fable ou une allégorie, mais une vivante réalité. Toutefois,
ce pessimisme même peut susciter une action, engendrer
une foi. Aussi l’appelle-i-il de tout son désir, cette espérance
offerte à l’homme pour justifier sa tyrannie sur l’univers. Et
c’est l’amour. Tel sera donc désormais le rythme de l’héroïsme
humain — de l’héroïsme wagnérien. Et comme chez
lui l’inspiration devance toujours l’expérieuce, il attend cet
amour comme il a attendu la gloire, et la révolution, et Liszt,
et la douleur, et Schopenhauer. Puisque chacun de ces « moments »
est venu à son tour confirmer ses divinations, il faut
que sur sa fresque une dernière vision vienne ajouter une
image pathétique à sa synthèse du monde. Avant même
d’avoir touché son cœur, l’amour émerge de son inconscient
comme la figure centrale de son triptyque : Siegfried d’un
côté, la jeunesse éternelle ; Wotan de l’autre, la résignation, à
la mort ; et au centre, le double visage de Tristan et d Yseult.
Dans la même lettre où il confie à Liszt sa découverte de Schopenhauer, il écrit : « Comme dans mon existence je n’ai jamais vraiment joui du bonheur de l’amour, je veux élever à ce plus beau de tous les rêves un monument où d’un bout à l’autre cet amour se puisse satisfaire. J’ai ébauché dans ma tête un Tristan et lsolde d’une conception musicale toute simple, mais intensément vibrante. Et dans les plis du « pavillon noir » qui flotte sur son dénouement, je m’envelopperai pour mourir. »
Une fois de plus le destin lui obéit. Cette femme qu’il a tant espérée et pour laquelle il eût donné son art, elle existe. Il n’a pas su la voir tout de suite. Elle ne s’est insinuée que lentement dans son existence, comme un parfum discret, comme une belle habitude. Il n’y a rien eu entre eux de concerté ni de tragique. Même presque aucune surprise. Rien ne s’est modifié en apparence dans la longue suite des jours. Le mari est toujours cordial, empressé et généreux ; c’est un